Exercices du vertige, Jonas Sénat par Lydie Cavelier

Les Parutions

22 mars
2025

Exercices du vertige, Jonas Sénat par Lydie Cavelier

Exercices du vertige, Jonas Sénat

 

 

La quatrième de couverture renvoie au biographique, mais l’écriture intestine, l’exercice d’excavation et de reformation du corps et de la langue, convainquent d’eux-mêmes.

Le « corps-langue » (Christian Prigent) y est violenté, éventré, écartelé par des maux hurlants, des mots étouffants, ingurgités, engouffrés, impropres à redonner cœur. Contre le vertige de l’exil intime, le poème est le seul lieu de parole où s’essayer à se révéler. Creuser en soi, tâter les articulations du « déséquilibre » (47), se laisser démembrer par les « positions inconfortables » des « muscles viscères tissus » (34), se chercher des nerfs, en langue, parmi les « ossature structure termites » (39) est une voie préalable pour (s’)envisager une issue. Il importe, pour être « audible » (13), de comprendre quelles altérations, quelles oppressions ont écrasé le sens de la parole. Le logos du « récit » commun amuït les mutilations d’un corps-langue qui a été contraint de se conformer intimement au martèlement des coups-de-point :

« des grandes phrases. des phrases qui mettent en ordre, qui replacent l’ordre si l’ordre avait été dérangé. des sentences des maximes des opinions. ils sont ceux qui pensent qui savent qui ont réfléchi. » (41-42).

Dévidant à toute force leur « colonne de parole » (42), justifiée-droite de façon à rationaliser tous les ordres et désordres socio-économiques, judiciaires et moraux, des « voix de lignage de lignée » régissent la « trame de nos tripes » (38), désincarnent le sujet, coupent ses cordes vocales, le désarticulent chair et os, le déparlent, puis le jettent dans le tourbillon de l’aliénation.

Contre la grosse « caisse thoracique » (44) qui tord le réel, poèmes, pages et livre offrent un corps de résonance où s’espacer, respirer, s’exercer à vivre. Le vacarme laisse place aux filiations niées, silencées, y compris celle du « papi », dont le corps et la vie ont été « désintégré[s] » au point de ne plus « rien » dire « à personne » (48).

Au « système linguistico-politique » (52) réplique le « chantier » d’une révolte de la langue. Depuis le tréfonds du corps (ventre, poumon, gorge, bouche), Jonas creuse un silence propre à accueillir toutes les « voix de vérité d’aplomb de douceur » (38), de solidarités. Trachées tranchées et autres trouées laissent sourdre, depuis le milieu du corps, une prière primordiale, muette, une attente qui reforme l’intégrité du corps-langue au « revers de [l]a peau » (75). Ainsi, le livre abouche-t-il à l’indicible : en nous tenant « toujours sur le bord /

de » (69), nous pourrons écouter « ce que [Jonas n’a] pas prononcé » (77).

 

 

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