Isabelle Pinçon, Petita bientôt et Petita par Élisabeth Beyrie-Soulassol
Des pépites d’amour offertes par une grand-mère à sa petite-fille.
Ces deux recueils, dédiés par la poète à sa petite fille, sont à lire – de préférence – l’un après l’autre ou indifféremment selon nos convenances mais il y a une suite naturelle entre les deux.
Ils présentent tout d’abord des couvertures aux couleurs douces et au format facile à transporter partout avec soi (14,5 x 14,5 cm), mais surtout, lorsqu’on ouvre Petita bientôt, l’œil est accroché, sur chaque page, par des petits textes tout simples à lire et tellement poétiques qu’on est emporté par l’histoire.
On y sourit, on rit, on s’inquiète, on y pleure, c’est toute une brassée d’émotions qui nous envahit dans ce monde à la fois réel et magique des mots de la poète.
Beaucoup de douceur mais aussi de profondeur dans ce dialogue initié par Trèsgranda, la future grand-mère de Petita alors que cette dernière vient d’apparaître sur l’échographie du ventre de sa maman Granda :
C’est un petit bruit d’abord, dessous dedans,
derrière et devant, qui bat vite, très très vite,
pressé d’écarter les herbes hautes, grimper à
l’aplomb, un petit bruit dans un terrain de jeu
minuscule.
À la périphérie nous sommes regroupés, parfois
inquiets, parfois joyeux, avec tes exploits en
construction.
La petite tribu, constituée principalement de femmes, accompagne l’enfant à naître dans Petita bientôt : « nous sommes là, à t’aimer déjà » puis à grandir dans Petita.
L’histoire commence, comme un conte de fées, avec des noms de personnages significatifs de leur âge, mais ce n’est pas un conte, c’est une histoire réelle qui verra des épisodes plus difficiles à vivre : les inquiétudes de l’entourage de Petita, son père qui « a quitté la longue plage et les palmiers » puis, dans Petita, le retour éphémère du père, Grand ?, et la mort de l’arrière-grand-mère, Plusquegranda.
In utero, il se passe beaucoup de choses. Petita y vit, y grandit et sa grand-mère traduit ses pensées, ses mouvements en lui donnant les mots qu’elle n’a pas encore. Car, c’est bien de cela qu'il est question : l’amour des mots. Ils sont à l’honneur à la fois par l’écriture mais aussi dans la communication entre Trèsgranda et Petita. Dans ce premier recueil, ils sont moins nombreux que dans le deuxième qui les verra surgir, se bousculer, s’inventer, et nous enchanter avec la naissance et la croissance de l’enfant.
Pour l’instant, Petita vit sur une île, entourée de « plantes aquatiques », elle « navigue » et Trèsgranda l’encourage : « garde le cap », lui -elle.
Dans le monde de la grossesse, de l’enfantement et de la maternité, la grand-mère, magicienne des mots, offre à Petita une présence : « tu recules un peu, tu tournes le dos », des sentiments, « tu aimes bien… ». Trèsgranda lui parle : « je te reconnaîtrai quand tu sortiras avec ton petit sac de randonneuse », « j’ai demandé à ta maman de signer un traité pour la joie, le papier traîne sur la table, le feutre rouge à côté », « sous ma paume, j’ai senti le bout de ton aile ou était-ce un mot plus fort que les autres ? ».
C’est déjà une enfant douée de raison : « tu es venue nous demander ce que nous cherchons, ce que nous deviendrons ».
Par moments, surgissent des soucis : « on court avec nos palmes à travers les couloirs de l’hôpital » mais tout va bien « les précipitations se sont éloignées ». Reste une question laissée sans réponse : « comment te mettre à l’abri des catastrophes ? ».
Le choix du prénom aura « le bon goût du chocolat », et de ce « fameux » mot « dodu, moelleux et très délicieux », Petita fera « son histoire préférée ».
On prépare les vêtements de l’enfant et sa chambre. Le pyjama blanc, la chaise haute, un petit ciré avec des cœurs superposés, les peluches, on remplit les tiroirs. « J’ai écrit Petita en parlant de toi » et Trèsgranda évoque de plus en plus la maman, son attente, les larmes qui coulent, sa fatigue, le sommeil capricieux, ses inquiétudes, les mots qu’elle dit à voix haute et déjà l’enfant qui prend note et couve les mots, jusqu’ au petit matin où Petita passe la frontière et glisse « dans l’humanité » :
Instinctivement, tu reconnais ta maman, tu la
regardes, elle aussi te regarde, vos yeux sont
pleins de vous deux.
Petita est née et commence alors le deuxième recueil. Avec elle, « le bonheur entre dans la parcelle, le ciel est brûlant ». Nous allons suivre alors les premiers pas de cette enfant dans le monde du quotidien qu’elle découvre. Elle grandit à pleines brasses, elle dit des mots, « c’est frais, ça fait des tourniquets ». La voilà sur le pot, puis tapant sur tout, jetant les objets, arrachant « les fleurs du champ parce que ce sont des couleurs, chacune dotée de petites langues exquises qu’elle colle sur sa peau… », sur un toboggan, entourée de ce trio de femmes « installées dans le baluchon du temps ». Elle a du caractère, elle « chouine », fait la moue.
Dans ce monde de découverte, les mots, plus ou moins longs, poussent comme des plantes autour de l’enfant et la recouvrent, mots vivants, qui se réveillent et s’endorment avec la petite fille :
Petita marche à pas de géante sur la table des
mots, ils sont à eux tous un paysage débordant
de vitamines, les arbres sont nommés, même les
escargots et ce qui déferle du ciel, de ces bulles
pleines de sonorités fait un bouquet qu’elle
donne à croquer à nos oreilles.
Petita cherche partout son papa, au marché, au supermarché, elle voudrait tellement avoir un papa « qui gronde et qui pique ».
Et la vie continue, et c’est l’arrivée de papa Nonelle qui apporte sa moisson de cadeaux, et une nouvelle année commence.
Un jour, Grand ?, le père de l’enfant, arrive mais disparaît « pour toujours des radars ».
Un matin, Plusquegranda tombe et rejoint « sa grotte ancienne ». Le « beau sillon dans le champ des générations » tracé par les « quatre poupées russes » se brise.
L’enfant, entourée de mots et d’amour, grandit et veut faire « toute seule » alors que les adultes voudraient la garder encore « bébé ».
C’est sur les mots « tout chauds de Petita qui fait le fantôme sous un foulard de soie » que se termine ce deuxième recueil :
c’est moi, c’est moi !