Jean Le Boël, l’enfant sur la berge par Élisabeth Beyrie-Soulassol
« Ce qui m’importe est de traduire les sensations des gens modestes, ceux qui ne sont pas assez écoutés. Je suis comme eux »[1].
Pour ceux qui ne connaissent pas Jean Le Boël, lire ce dernier recueil publié du poète, romancier et essayiste aux multiples fonctions[2], et lauréat du Prix Mallarmé en 2020 pour jusqu’au jour, vous donnera, sans aucun doute, envie de découvrir l’ensemble de son œuvre.
Jean Le Boël est un poète discret – peut-être cela vient-il de ses origines modestes – et généreux car il souhaite ouvrir au plus grand nombre l’accès de la poésie.
Pas de morale, ni de philosophie débouchant sur un sens supérieur, incompréhensible aux non-initiés, mais le partage d’une verbalisation qui peut être comprise par tout le monde.
Pas de majuscule ni de ponctuation dans la poésie de Jean Le Boël, elle s’écoule de la lecture du titre jusqu’à la dernière lettre du dernier poème. Rien ne peut l’arrêter comme le temps qui passe.
Qui est cet « enfant sur la berge » ? est-ce celui dont le sourire donne tout ? celui qui caresse les plaies qui ont traversé son enfance « obscure douleur traversée de quelques soleils » ? cet enfant « qu’il faut préserver de l’éclat/et polir d’une main douce », cet enfant qui meurt « tour à tour tyran ou victime » de l’enfance de ses parents « qui ne se résout pas », celui qui » lâche l’esquif frêle » ? n’est-il pas chacun de nous ? « L’eau nous emporte/notre enfance sur la berge ».
Le poète se bat contre ce qui n’est pas juste, ce qui n’est pas supportable mais il doit pour cela être en quête de l’humanité : « il ne suffit pas de crier […] qui n’aime pas n’a rien à dire//il n’est de juste révolte/à qui n’obéit pas/à un plus grand amour ». Il peut dire le désir mais celui-là n’est rien non plus sans l’amour « un désir se tarit/ un amour se perd/mais pas l’amour/pas la soif/ d’une autre source ». Le poète écoute : La poésie est pour moi l’état le plus accompli de la relation à la langue. La narration peut avoir un côté péremptoire auquel le poète échappe. Je préfère l’écoute à l’affirmation[3]. « Et s’il parle/sa voix porte/celle des autres », ses frères et sœurs afin que jamais la mort n’étouffe leur voix, et ne disparaissent « notre cri » et « notre refus ».
Il regarde la nature qui donne à l’homme des leçons de vie. Comme les « nuages glissant dans la respiration du ciel/oublieux à chaque instant de leur image ancienne », « nous voyons la vie à notre image/non pas figée vide inutile/mais riche de ses accidents ». « L’homme est comme le fleuve/qui sourd fraîcheur dans les mousses […]il suit sa pente ».
De l’observation des choses qui semblent simples et banales, des « riens naïfs », le poète sait retirer ce qui peut nous aider à vivre notre condition humaine. Ainsi, « l’eau qui caresse la mousse sur les pierres/ (et) défile indifférente vers la chute prochaine », les pissenlits en fleur qui perdront bientôt leurs pistils, les ronces qui enjambent l’herbe tendre et qui seront fauchées.
La poésie de Jean Le Boël ne verse pas dans le pathos. Elle célèbre aussi la vie et l’amour et rend hommage à ceux qu’il a rencontrés. « La vie ne sépare pas/elle prépare l’élan après les chutes […] elle construit/pour peu qu’on la dépasse ».
[1] Extrait d’un entretien à la Foire du livre de Brive en 2020.
[2] Celui qui a été mécanicien chez un garagiste pour payer ses études est aujourd’hui animateur des Éditions Henry, fondateur et directeur de publication d’Écrit(s) du Nord, secrétaire de la Maison de Poésie – Fondation Émile Blémont à Paris, auteur de livres pour enfants dans la collection Scientifictions aux éditions Henry.
[3] Extrait d’un entretien à la Foire du livre de Brive en 2020.