Katie Peterson, Douceur en plein visage par Élisabeth Beyrie-Soulassol
Tandis qu'aux Etats-Unis, la poète californienne Katie Peterson publie un nouveau recueil, Fog and smoke, l’édition bilingue Cheyne, « D'une voix l'autre », offre aux lecteurs français une anthologie issue de quatre de ses livres, This One Tree, Permission, The Accounts et A Piece of Good News, publiés entre 2006 et 2019 et traduits pas Aude Pivin.
De ces poèmes, Louise Glück, lauréate du prix Nobel de littérature en 2020, écrit dans sa préface : « Je connais peu de corpus d’œuvres à la fois aussi passionnés et aussi maîtrisés, aussi rigoureux, aussi lucides, aussi opiniâtres, aussi pessimistes et aussi courageux dans leur long débat avec la mort. »
C’est dire que cette publication revêt une importance non négligeable dans le paysage poétique contemporain. Fidèlement traduite par Aude Pivin, la poésie de Katie Peterson met en avant la difficulté d’exister, de comprendre les autres et de se faire comprendre.
La réunion de ces quatre recueils propose les fragments poétiques d’une vie qui se raconte, comme des petites histoires, au fil des pages.
Les poèmes de Cet arbre-ci mettent en lumière le thème du temps qui passe à travers l’évocation de plusieurs arbres. Si l’eucalyptus offre son ombre bienfaisante et guérit la narratrice d’une rupture dont le forsythia est l’un des acteurs, les arbres la « tourmentent ».
Quelques années plus tard, dans La permission, c’est, par le biais des animaux- le chien blanc auquel la narratrice parle, le corbeau et le lapin, doubles de la poète, le merle-bleu, le monarque qui dit oui à la mort- que la narratrice se questionne sur son état émotionnel. « J’existe entre deux endroits » écrit-elle, entre le bonheur et la tristesse, comme le temps qui « fait pareil ».
Un événement lui donne l’occasion de se poser des questions sur sa place dans sa famille. Rendre compte évoque en particulier la mort de sa mère. Si nous retrouvons les thématiques de la nature, des saisons, de la terre, du jardin avec son lilas, du nid et des oiseaux, ce recueil évoque clairement la maladie et la mort de sa mère : « Cet été-là », « La semaine où ma mère est morte », la chimio, le scan, le lit. C’est à partir de ce moment-là que la colère peut surgir comme dans « je ne suis pas venue ici pour » mais, la narratrice revient, aussitôt, d’une manière lancinante sur cette difficulté d’exister auprès des autres, cette dévalorisation d’elle-même : « je tentais d’être ce qu’ils voyaient » « je suis le milieu » et elle se plaint des obligations sociétales.
Nouvelle providentielle revient sur ces questions en développant davantage la critique de la société. Être une citoyenne : « Je voulais être vue. Mais par qui ? Je ne parvenais pas à penser à aucun nom sauf à celui d’une fleur. », l’égoïsme des humains, la femme abandonnée, la sexualité, l’économie, les gouvernants qui parlent pour ne rien dire, la société de consommation qui détruit la terre.
Dans ces quatre recueils, c’est également à travers les mots des autres qu’elle parle d’elle. « Nouvelles » évoque une lectrice lisant dans une bibliothèque des journaux et le roman Daniel Deronda « qui ne sait pas qui il est » « chaque fois qu’un livre s’achève, un silence ». Le Roi Lear, Tess d’Uberville et Un thé au Sahara sont également convoqués pour mettre en avant sa difficulté d’être dans le monde.
Si l’on peut noter la présence de certains topoï de l’élégie, l’absence d’une mélancolie larmoyante met en valeur une poétique renouvelée de cette thématique.
L’intention de la poète est de tenir le lecteur en alerte, sinon en haleine, devant des liens suggérés entre deux vers. Ce ne sont pas forcément les signes de ponctuation qui favorisent cette lecture arrêtée mais l’inventivité des rapprochements. Ainsi, le thème de la pièce de monnaie se dédouble : elle est à la fois « dans ta gorge, un savoir/ de tout ce à quoi tu as encore droit » et un « avant-goût de ce que la terre féconde et traitre te crachera dessus quand tu fixeras sa douceur en plein visage ».
Le jeu des pronoms, dont on ne sait pas toujours si le « tu » est bien une personne autre que la narratrice, la disposition des pronoms jetés en fin de vers : « Le secret m’a anéantie. Tu //t’es égaré dans le faux, », « J’entrai dans la maison, tu/t’enfuis dans la cour. », « pas d’autre choix que de te / perdre et… », tout concourt à proposer différentes lectures de ces poèmes.
Ainsi, la poésie de Katie Peterson est à la fois exigeante et généreuse. Elle offre à ses lecteurs des sujets d’exploration de paysages intérieurs et extérieurs, réels et imaginaires, afin que le poème soit un lieu.