Si loin si proche de Véronique Joyaux par Élisabeth Beyrie-Soulassol

Les Parutions

10 sept.
2024

Si loin si proche de Véronique Joyaux par Élisabeth Beyrie-Soulassol

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Si loin si proche de Véronique Joyaux

 

Avant l’aube je sortirai 

sur la frange des nuages

avec mon bagage de mots

inutiles et lisses comme ta peau.

 

Les premiers vers du dernier recueil publié de Véronique Joyaux se situent résolument dans les pas hugoliens tout en les réenchantant.

En cette fin d’été, le tutoiement familier poursuit le dialogue entre les amants au-delà de la mort, dans la première partie intitulée « 1- Vagues toujours », parce qu’il est encore possible de se rappeler le corps à corps avec celui qui vient de partir, de « longer le corps de nos mains avides » et de sentir les vagues palpiter « à la courbure des reins ». Parce que l’être aimé est partout « Dans un coin du jour tu te tiens », « un instant tu m’as regardée ». Les mains peuvent enclore le visage de l’autre, et les gestes se rencontrer malgré la séparation. « Tu viens de loin vers moi/Tes bras me retiennent », « Doucement je m’enroule dans tes plis ». C’est encore le temps de parler avec l’aimé, de croire qu’il entend la demande amoureuse : « Retiens ton souffle/Tu es de ce monde », « Reçois mon visage comme une obole/Cache-moi à l’ombre de ton corps », « Viens t’étendre sur la papier blanc telle une tache heureuse ». Tout est tellement simple dans cet entre-deux – Si loin si proche, comme l’annonce le titre du recueil – que les virgules n’ont pas lieu d’être dans cette poésie d’amour.

Il suffit de rester « les yeux grands ouverts », et d’écouter le bruit des vagues, de la rue, de la vie de tous les jours pour « se parler sans rien dire » car « Ta voix absente m’habite ».

En ce temps suspendu, écrire est facile. Les phrases s’écoulent, et « le poème s’étale /flaque de sang », les mots « circulent dans les veines couleur de cernes » et roulent. Tout glisse, parfois la joie, le train, le vent, les amants « Glissons-nous là où tout est limpide/pour que la mort n’ait pas de prise ». Il suffit de prendre son « bagage de mots » et de recopier « ce qui prend souffle ». Alors, les mots sont-ils vraiment utiles ? « Nul besoin de mots pour dire cet espace où l’on s’appuie pour mieux durer » car « mon corps est là près du tien ».

Ce temps est aussi celui de la réalité et de la solitude, « mes bras s’étendent vers le vide ». Surtout, il ne faut pas « égarer la page », « tisser pour toi ce poème » telle une offrande : « Je t’offre cette page qui est ma peau » mais aussi une consolation qui cautérise la plaie et qui protège du froid de la mort. « Que restera-t-il de nous après la mort si ce ne sont ces mots écrits ? ».

Le temps passe apportant un peu de sérénité : « Il fait chaud ce matin/Le ciel est clair […] Tout se renoue/ la terre aux racines mêlée/le vent d’ouest et la pluie/ la voix accordée aux lettres de ton nom ». « Demain l’aube sera bienveillante ».

La deuxième partie du recueil intitulée « 2-Instants » rompt avec la quiétude précédente. Nous voici « aux premières ondées de septembre », prélude à la nuit qui va tomber. La lune trébuche. Tout est blessure, « dans l’immensité du rien ». Tout est sombre et silencieux. Le ciel est immobile. La rue se vide. Les trains ne passent plus. La maison-refuge dort. Ne demeurent que des vagues de larmes. Les bras ne rencontrent plus que du vide.

Le « je » de la narration se raréfie, laissant la place à un « on », pronom au cœur lourd. Le silence envahit la page. La tentation est grande, dans l’oubli de tout, d’entrer en soi, de garder le yeux fermés pour entrer dans le deuil. Parfois, les instants sont plus doux. Une porte qui s’ouvre, une présence à travers la vitre, une ombre adossée à la pierre, des retours en enfance, des souvenirs de lecture dont on aurait voulu changer la fin, un rêve d’oiseau qui appelle la narratrice à reprendre l’écriture, à retrouver le « chemin d’encre intarrissable » afin que « la mort n’ait pas de prise ». Des instants formés d’une phrase ponctuent le texte, tels des sentences ou des exhortations comme « Se demander pourquoi nous écrivons, élucider ce mystère, au risque de ne plus écrire ».

L’hiver passe et la sève qui dort va couler à nouveau dans « le cliquetis d’avril ».  Alors, « on poursuit la route », « on sent une ombre chaude au bout de nos doigts », « nos vies s’allument comme des lampes/ Doucement les visages bousculent ».

 

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