Joë Bousquet, Mallarmé le sorcier par Mathieu Jung

Les Parutions

21 déc.
2021

Joë Bousquet, Mallarmé le sorcier par Mathieu Jung

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Joë Bousquet, Mallarmé le sorcier

 

 

Admirer Mallarmé, le vomir

 

« Il est difficile aux hommes de ma génération d’apprécier en toute liberté critique l’œuvre de Mallarmé. » Ainsi s’exprime Joë Bousquet dans des notes jusqu’ici inédites qui accompagnent « Mallarmé le sorcier », article paru en 1948 dans la revue Les Lettres. Rare et précieux, cet ensemble vient de remonter à la surface chez Fata Morgana, avec un avant-propos de Jean Frémon. Ce dernier avait longtemps gardé secrètes les notes de Bousquet relatives à Mallarmé, conservées — oubliées, presque — dans une enveloppe de papier brun. Mallarmé le sorcier est agrémenté de gravures effectuées par cet ami proche de Bousquet que fut Pierre Cabanne, à qui l’on doit La chambre de Joë Bousquet (André Dimanche, 2005) — ouvrage irremplaçable pour ce qui est de découvrir Bousquet in situ, dans la chambre où il vivait en reclus, mais aussi dans le voisinage des grands peintres de son temps.

Lisant Mallarmé le sorcier, on imagine bien le poète de Carcassonne feuilletant le volume de la Pléiade paru en 1945 regroupant les œuvres de Mallarmé (Henri Mondor et G-Jean Aubry éd.). Ce faisant, il médite au sujet du poète, s’intéressant notamment à la période de Tournon. Bien sûr, et Frémon le rappelle à juste titre dans son Avant-propos, il ne s’agit pas d’une exégèse stricte de Mallarmé. Bousquet le cite sans grand souci de probité philologique, mais il a le soin de nous prévenir : « Un homme apparaît et il vit, il n’est cependant pas dit qu’il ne doive sa chaleur animale aux entrailles des commentateurs. » Bousquet ne produit jamais de critique littéraire en bonne et due forme. En effet, c’est en vue de formuler son propre mystère que Bousquet parcourt les œuvres autant de Raymond Roussel que de Jean Duns Scot, de Jean Paulhan mais aussi de saint Bonaventure. Ce déroutant éclectisme nourrit également une série d’études consacrées à Pierre Jean Jouve, qu’il donna aux Cahiers du Sud de 1930 à 1937. Regroupés dans Lumière, infranchissable pourriture (Fata Morgana, 1987), les essais sur Jouve sont peut-être les plus inspirées des nombreuses lectures que publie Bousquet. L’admiration qu’il voue à l’auteur de Sueur de Sang y est pour beaucoup. Tel n’est pas le cas pour ce qui est de Mallarmé.

L’essai « Mallarmé le sorcier » témoigne d’un embarras face à Mallarmé. D’un empêchement, dirait Beckett. Ces quelques pages font de Mallarmé un « poète-né », bien que l’éloge soit envenimé par une manière de ressentiment diffus, assez peu sensible dans la version publiée de cette brève étude.

La façon dont, posant la question du moi créateur, Bousquet fait jouer Mallarmé contre Robert Browning est intéressante, mais l’enjeu est peut-être ailleurs. Mallarmé — Bousquet en prend largement acte — établit l’équation « la Fiction ou Poésie » (« Solennité », Crayonné au théâtre). La notion mallarméenne de « fiction » retient l’attention de Bousquet — et la nôtre. Autour d’elle gravite la méditation : « Or, plus qu’Igitur nous intéresse le progrès majestueux et définitif que Mallarmé fait accomplir enfin à l’idée de fiction. » ; « Il aura posé qu’aucun acte n’était possible sans anticipation de la fiction. Le poète, le savant édifient un invisible théâtre d’inaugurations gratuites où leur être se retrempe en effigie. » ; « Car être et fiction se relaient en nous pour que nous demeurions toujours au centre de notre vie. » etc.

Ce qui intéresse Bousquet chez celui qu’il nomme le « sorcier » n’est autre que la définition de la poésie. Ou plutôt, Bousquet, suivant la piste de la fiction, cherche en Mallarmé ce qui peut s’entendre par là. Sans doute Bousquet est-il trop jaloux de sa propre fiction, trop sûr de son poème pour accepter une quelconque leçon de ce professeur dont il ne manque pas de rappeler qu’il fut chahuté au collège de Tournon où il « essuyait des rafales de pierres et de boulettes mâchées ». Il déplore un « ressort d’orgueil » qui empêche Mallarmé « d’accepter la condition humaine ». Mallarmé est-il seulement humain ? Pas aux yeux de Bousquet : « Ce poète aux oreilles pointues, un faune, c’est-à-dire pour moi un homme dégénéré a bien mérité de l’esprit. Il a, riche de toutes les ressources créatrices, touché le fond du non espoir. L’homme sans humanité, sans amour n’est même pas inhumain. Mallarmé est le Dieu, l’idole de tout écrivain universitaire. »

Dans les notes qui viennent désormais compléter « Mallarmé le sorcier », le propos de Bousquet est plus véhément à l’égard de Mallarmé. Ainsi, Mallarmé aurait commis la « monstrueuse erreur » de ne pas céder l’initiative aux mots (contrairement au précepte fameux contenu dans Crise de vers) : « Il n’a pas senti que ce miracle se produit de lui-même dans le mouvement des passions, que le mot même en est l’œuvre et que le temps et la collaboration de tous, poètes y compris, opérait cette réduction et ce salut. »

Quelque chose en Mallarmé est trop grand, son échec même conserve une grandeur décourageante. Bousquet, dans ses notes jusqu’ici inédites, le signifie en des termes très vifs : « Je hais Mallarmé. Il m’est cependant impossible de négliger son œuvre. J’ai besoin de me rappeler sa vie ; je ne puis me passer de lui. Il est à côté de moi quand je désespère, à ma portée quand, un grand espoir me tenant, je mesure son échec. Je voudrais lui cracher dessus, je le vomis. »

 

 

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