Pourquoi ? de Laurent Albarracin par Mathieu Jung

Les Parutions

08 juin
2020

Pourquoi ? de Laurent Albarracin par Mathieu Jung

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Pourquoi ? de Laurent Albarracin

Pourquoi Albarracin

 

On peut envier Laurent Albarracin. Il a su trouver le bonheur dans l’expression. Son dernier livre, Pourquoi ? suivi de Natation, rassemble d’heureuses formulations, autant de questions qui ne souffrent pas de réponse. L’énigme éclose de la rose, celle pas moins limpide de la nage. Natare piscem doces. L’art d’apprendre à nager aux poissons. Ponge, oui. La nage de l’expression, disons. « Simplement je nage. Jusqu’où je nage. C’est ce que nager nous dira. »

L’évidence a un sens noble et mystérieux chez Albarracin. Celui que l’on trouvait déjà dans Cela (Rougerie, 2016) mais aussi dans ce Pourquoi ? qui est un nouveau Livre des Questions. Si Albarracin recourt volontiers à la tautologie, et qu’il parvient, ce faisant, à ouvrir un espace, c’est qu’il procède par l’effraction sereine d’un poète qui sait où il va, et qui ne s’en soucie guère.

Quelquefois, la surprise opère à fleur de sens. Souvent le raisonnement est élégamment suspendu à une patère bizarre, au portemanteau du solipsisme. Quand il n’est pas superbement planté à flanc de montagne.

Il arrive que le poème d’Albarracin débouche de plain pied sur le monde de Malcolm de Chazal. On songe aux apparadoxes de l’univers magique, à Sens-plastique : Albarracin et le poète mauricien ont en commun une drôlerie volontaire involontaire qui surgit tantôt du cœur des éléments, tantôt suite au frottement pareil et semblable des mots sur les mots. D’où cette formule déroutante et belle : « comment l’eau déverse l’eau dans l’eau pour faire l’eau », ou celles-ci, qui questionnent la rose : « comment c’est avec la manière de son pourquoi qu’elle répond à sa matière » ; « est-ce que le quoi au milieu de la question est la réponse de la fleur à la fleur par la fleur ».

Une drôlerie, au risque il est vrai, mais Albarracin est bon nageur, de faire plouf. Car, comme chez Malcolm, le naufrage du sens est toléré dans Pourquoi ? : « pourquoi la chaise est assise entre deux culs » Albarracin est un naufrageur plus conscient que Malcolm, un naufragé pour de rire, qui sait faire du naufrage un mode exploratoire. Un brûleur de questions assez avisé pour s’aventurer dans l’inconnaissable : « faut-il que la rose ne sache pas pour qu’elle s’ait »

Les questions se lancent les unes les autres, font boule de neige, un peu comme chez Boris Wolowiec : l’interrogation progresse ou à mieux dire divague selon un mobile secret, s’étend généreusement à toute chose. « est-ce que la rosée dans la rose est un pléonasme / est-ce que la perle dans la rosée est un phasme »

Bien sûr que le destin des choses est de s’épiphaniser. Sinon à quoi serviraient les mots ? « quoi est plus réel que l’émerveillement » C’est tout le bonheur d’Albarracin que l’on retrouve dans cette langue lustrale qui fait Pourquoi ? et Natation. Poèmes d’un nageur pensif, qui sait ce que nager veut dire : « À part penser on ne peut pratiquement rien faire d’autre en nageant que nager. »

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