O. V. de L. Milosz, Œuvres par Mathieu Jung

Les Parutions

14 oct.
2024

O. V. de L. Milosz, Œuvres par Mathieu Jung

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O. V. de L. Milosz, Œuvres

 

Admiré d’Oscar Wilde, qui voyait en lui l’incarnation de la poésie (« Et voici Milosz-la-Poésie. »), mais aussi de poètes aussi variés que Claudel, Valéry ou Apollinaire, O. V. de L. Milosz n’en jouit pas moins d’une sorte d’occultation naturelle, liée autant à la trajectoire de sa personnalité qu’aux arcanes mêmes de son écriture. Cet auteur de tout premier ordre, et pour le moins secret, méconnu en tout cas, avait bien besoin d’être mis en lumière à l’occasion d’une parution de ses Œuvres dans la collection « Quarto » (Gallimard).

 

C’est d’une lumière généreuse et exigeante que jouit ici Milosz. Les éditeurs scientifiques de ce volume, Christophe Langlois et Olivier Piveteau, exploitent superbement le format « Quarto », qui continue ici de faire ses preuves, notamment au plan iconographique. Le passage de Milosz sur terre nous est rendu idéalement sensible dans la soixantaine de pages richement illustrées de la partie « Vie et œuvre », laquelle s’intéresse également au destin posthume du poète.

 

Gageons que cette parution sera l’acte d’une renaissance de Milosz, dont l’œuvre n’a pas encore, de loin pas, rencontré tous ses lecteurs. On disposait déjà des treize volumes des Œuvres complètes établies par André Silvaire, voici une irrésistible invitation à découvrir ou à redécouvrir ce poète laissé quelque peu sous le boisseau.

 

Milosz intimide. Son aura le précède. Rose Celli évoque, en 1918, son visage « ravagé par l’esprit saint ». Il est en effet comme une mystique à fleur de peau chez ce personnage pour le moins atypique, dont on aime à retenir quelques anecdotes qui, si elles n’éclairent l’œuvre en rien, nous rendent ce poète tantôt sympathique, tantôt mystérieux. En premier lieu : son amour pour les oiseaux, qui le rapproche d’un saint François d’Assise.

 

Si l’exégèse qu’il propose de la Bible ne laisse pas de nous surprendre, aiguisant tour à tour notre curiosité, ou nous rendant perplexe, le souffle de ses poèmes au vers ample témoigne d’une veine dont on n’a pas encore saisi la profondeur.

 

Nous ne sommes plus ceux qui chancelaient de voir
Le rire des noyés aux lèvres de mirages :
Mère, voici des luths aux battements sauvages
Comme un vol d’éperviers d’océan dans le soir.

(Le Poème des demains)

 

Paul Fort voyait en lui un Goethe français.  Joë Bousquet, qui l’avait beaucoup lu, notait pour sa part que Milosz avait écrit son œuvre pour « se libérer de la raison ».  La raison est un principe trop étroit, sans doute, pour accueillir les visions de ce poète. Peu importe que, selon les vaticinations de Milosz, l’Éden biblique se situe ou non en Andalousie, ou encore qu’un « tiers de la lune » devait tomber sur la Russie méridionale en janvier 1944, ce qui fait l’intérêt véritable de Milosz est le caractère exemplaire et sans pareil de son aventure poétique, proprement inouïe — inaudible, pour une bonne part, tant sa « métaphysique » est en mesure de dérouter.

 

Lire Milosz aujourd’hui, nécessite de s’offrir une bonne dose de courage et, à mieux dire, de fougue et de témérité dans ce que peuvent être le poème et la visée du poème. Il faut se ressourcer dans cette parole toujours neuve. Si elle nous dépasse, et combien, c’est qu’elle est tournée tout entière vers les « demains », vers « ce temps qui vient » — un avenir, le nôtre, que Milosz nous somme de bien vouloir porter à hauteur de rêve et de pensée. C’est il est vrai un héritage difficile, légué par un poète qui parlait irrémédiablement au-devant de nous.

 

 

 

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