L'Espace Intérieur de Jean-Louis Chrétien par Jean-Paul Gavard-Perret
Selon Mallarmé, « rien n’aura lieu que le lieu ». Encore faut-il savoir quelle est la nature de ce lieu et vers quoi il renvoie. Selon Chrétien différents types d’architectures (maison, antre, chambre, etc.) créent l’identité humaine. Elles mettent en exergue le primat des régimes et des dispositifs d'énoncés et de visibilités sur les façons d’imaginer, de représenter et de penser l’intime. Les différentes maisons de l’être que le philosophe décline sont issues d’un topique chrétien. Il prend donc racine dans la Bible, puis passe par les docteurs de l’église (de saint Augustin à sainte Thérèse d’Avila) mais traverse des considérations d’Origène à Dante, de Kant et Rousseau jusqu’à Baudelaire et Freud.
L’espace extérieur devient l’écrin labyrinthique de l’intériorité, de la « persona ». Le premier dessine de manière architecturale les contours indiciaires afin de donner une figuration à l’invisible. Néanmoins les mêmes topos prennent au fil du temps des valeurs différentes. Les architectures ne possèdent pas une seule clé « passe-partout ». Les formes demeurent mais le sens évolue en fonction de l’évolution des époques. Chrétien y plonge comme dans l’océan, l’océan sombre de l’histoire de l’occident et sa représentation identitaire. Les structures architecturales deviennent les miroirs de la psyché. Elles sont des stratagèmes - en leurs continuels déplacements - du psychologisme et des systèmes de lecture du monde. Elles créent aussi des glissements où jouent notre curiosité, notre voyeurisme. Le délice que nous éprouvons par procuration à de telles monstrations ne mettent pourtant pas simplement en action le désir de connaître mais invitent à transgresser les lois du visible et de l'intime.
Chaque maison se peuple de « pièces à conviction » qui au fil du temps se referment sur un individualisme de plus en plus exacerbé. Celui-ci transforme l'odeur de sainteté en des parfums plus capiteux, des dépenses ludiques, des destructions de visions à l’origine métaphysiques. Le lieu de l’être propose donc une rhétorique spéculaire particulière. Peu à peu elle déboulonne le surmoi mais risque d’enfermer l’être. Ce qu’Edgar Poe rappelle à la fin de « La Chute de la maison Usher ». Ce lieu propose selon lui « des images répercutées, renversées entre vapeurs et couleurs plombées ». Demeurent les questions essentielles : « pourquoi suis-je dans ces murs ? Qui suis-je au cœur des ces indices architecturaux ? ». De tels archétypes permettent de descendre au dedans de soi-même, au plus profond de notre secret à travers ces « chambres » qui deviennent des demeures de hantises et de méditations.