La lampe allumée si souvent dans l'ombre d'Ariane Dreyfus par Jean-Paul Gavard-Perret
Ariane Dreyfus est une poétesse rare. Presque trop. Mais - bon revers de sa médaille - lorsqu’elle écrit, chacun de ses livres fait poids. Dans La lampe ..., la voix est explorée au plus profond. Ce qui compte ici n’est pas ce qui en sort mais d’où elle vient et comment « ça » s’expulse. Ni chant des bouches mortes, ni claironnement jouissif dans lequel la langue se fait à elle-même une fête. Le texte montre comment la voix est de fait mêlée aux autres, aux baisers, aux douleurs, comment elle est de corps et d’âme, de conscient et d’inconscient puisque parfois elle parvient à en trouer la peau.
Créer pour Ariane Dreyfus revient à créer le dialogue le plus intime avec - ici –une suite d’exercices de lecture empathique concernant des poètes (Stéphane Bouquet, Jean-Louis Giovannoni, Christophe Lamios Nicolas Pesquès, Valérie Rouzeau, James Sacré, Eric Sautou etc...) mais aussi de grands romanciers (Colette, Dostoïevski, Nabokov etc) et même des œuvres de cinéastes. Ces « entretiens » ne cessent d’avancer non par sauts et gambades mais chutes et remontées et afin de permettre à l’auteur de poser les questions « comment cela a commencé, qu’est-ce qui a commencé ? ». Toute parole est en effet un mystère. L’auteur le traque au plus profond de l’intime, de la sensorialité, de l’amour.
Le texte possède en ce sens une magie particulière. Elle tient au fait que sa luminosité plutôt que de s’arrêter à la découverte du dehors porte le regard sur l’obscurité du dedans. Afin d’y parvenir l’écriture fait preuve de force et de justesse, de tout l’élan du soyeux et de l’ardent. Surgit une langueur envoûtante et une forme de métaphysique implicite. L’apparente simplicité des moyens crée la somme de vitalité de la poésie et détermine sa réussite.
Partant d’éléments familiers, sachant regarder, lire, observer, Ariane Dreyfus métamorphose l’écriture en aventure intérieure liée à sa propre évolution. Cette aventure passant par le filtre de la poésie, mène du noir le plus profond aux couleurs les plus vives. Elle est aussi une sorte de musique dont la vibration est à même d’atteindre ce qu’il y a de plus général dans l’être : son mouvement intérieur fragile et térébrant.
La Lampe allumée si souvent dans l'ombre aligne ses touches lumineuses au rythme des battements du cœur et du corps à l’aune de l’altérité. Cherchant un monde unifié, Ariane Dreyfus utilise le mouvement, la fluidité de la poésie pour s’en approcher au sein des zones « géologiques » de l’être. Elles se déplacent, se touchent, se mélangent, se défont à l’image d’un débordement des berges du moi. Si bien que le fluide d’un tel livre passe sous la peau pour un « shoot » existentiel.