Médusa d'Antoni Casa Ros par Jean-Paul Gavard-Perret
Antoni Casas Ros est né en France d’une mère italienne et d’un père catalan. Il se revendique de la culture et de la langue paternelle : « Il y a dans la culture catalane, dans le roman espagnol et hispano-américain une folie, un réalisme vibrant et foisonnant qui sert de pont entre les mondes et permet de naviguer au sextant ou d’après les étoiles ». Toute l’œuvre de l’auteur le prouve.
Il commença des études de mathématiques avant de subir un grave accident de voiture : son amie est tuée, lui s’en tire mais est défiguré. Il s’enferme dans une solitude qu’il assume désormais. Préférant « l'essence à l'image » il se veut reclus. Il a puisé chez Cortàzar ce qui allait devenir le sens de l’écriture, du livre et de sa construction. Dans son premier roman autobiograhique Le théorème d'Almodóvar, le héros a, comme lui, perdu son visage lors d’un accident. Richard Millet alors chez Gallimard fait publier le livre d’un auteur entouré de mystère. Certains critiques doutèrent de son identité. Pour les « rassurer » Antoni Casas Ros publie un autoportrait de lui au crayon dans la revue Next. Après ce roman qui « plie » l’autofiction l’auteur publie les nouvelles (Mort au romantisme) puis Théorème , Chroniques de la dernière révolution et Enigma.
Après les œuvres à succès, L’auteur désormais se confine dans ce que certains estiment être une « posture esthétique » ce qui fait dire à un critique que « en tant qu'individu dont le moyen d'expression est une écriture digne de ce nom, il n'existe tout simplement pas ». Casas Ros accepte volontiers d’être tenu pour une marionnette sans visage. Ce qui compte vraiment reste l’inventivité d’une écriture qui gagne en puissance avec le temps. Le théorème d'Almodóvar n’était pas sans défaut. « Médusa » prouve que l’œuvre s’est enrichie. Sous l’image de la Méduse, c’est le regard du sourd et le visage du mort qui se font face dans une hybridation langagière propre à la littérature sud-américaine : « Le regard du mort passe, il ne caresse pas, il devient un élément de la nature, une perle noire dans la jungle, un ami des feuilles de bananier et des colibris étincelants ».
Surgit une rencontre « sans témoins au cœur de la solitude » à l’exception de « Trompes marines, cromornes, serpents sonores et noirs ». Médusa peut donc isoler un individu (lecteur ou écrivain) , l'éclairer, en proposer un tout qui est rien, un rien qui est tout (d’où le titre). C'est d’ailleurs ce que l'on découvre chez les grands romanciers, de Cervantès à Stendhal, de Kafka à Beckett, à travers leurs héros célibataires, forcément célibataires.
Chez eux comme chez Casa Ros la vie ne perdure pas vraiment mais elle pèse sur leur littérature. Et à l’égal des grands l’auteur prouve que l'individu n'est le fondement de rien et que c'est le pari du roman de le rappeler : à partir de ce rien la création se fonde en lui donnant une « image » celle que l’artiste se refuse de donner « in vivo ». Se refusant à elle l’auteur n’a plus qu’une solution. Celle de dire au lecteur : Regardez comment je raconte. Pas regardez moi. Mais regardez comment il faut raconter. La Méduse agit par ce détour.
Et si arpents de vérité il y a, ils doivent être forcés par autre chose qu ‘un « je » que l’auteur émettrait pour un lecteur. Car dans un tel précipité ne se cache qu'un précipice : l’auteur l’évite tandis que les Angot et autres adeptes de l'auto-fiction ne font que tomber dedans. Le monde clos de « Médusa » marque ainsi le passage à un univers infini dont l’auteur peut modifier en profondeur la conception que se fait un être de sa condition et de sa situation.
Par cet infini du fini le « Médusa » possède quelque chose d'unique. Le monde clos du héros est ainsi alternatif et libère chez le lecteur un espace, il l'augmente en l'"embarquant" comme le dit Pascal. Il accède à un monde interdit : à la fois parce que trop éloigné du nôtre, et parce que trop enfoui en nous afin de le percevoir. Ce n'est pas tant ouvrir qu'approfondir dont il est question afin d'illuminer nos gouffres d'outre tombes. Tout romancier, en en étant "dépeupleur" (Beckett), est le « peupleur ». Casa Rosa en premier chef.