Patrick Autréaux, Pussyboy  par Carole Darricarrère

Les Parutions

04 mars
2021

Patrick Autréaux, Pussyboy  par Carole Darricarrère

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Patrick Autréaux, Pussyboy 

 

« (…) quartiers de corps. / Une cuisse emboîtée dans une épaule. Une tête entre / deux jambes mauves (…) / Sexe qui bande ou rondelle qui soupire. / Et le safran du plaisir, (…) le calme des mots vécus. // Il était le petit dernier d’une famille assez nombreuse. Ses parents, des commerçants aisés du bled. (…) ».

Allons voir mignon si la sainte épine en robe mauve médicine dans le désert aux côtés de l’amour, se convertit en versets veinés d’hématomes plus doucement que vit, afin que s’accomplisse dans l’orgasme comme rituel, l’éphémère ouvrant sur de nouveaux voyages, qui s’emboîtant mutuellement s’inséminent, quelque chose en reste poignant à la lecture, un avant-goût de lendemain, une question informulée qui tapine plus bas que le sang, plus loin, dans l’ombre autour du ring et sa tauromachie, grand corps inquiet l’esprit sans repos, poursuivant dans le hors-temps de l’écriture une causalité soutenable.

Qui a dit que la chair était triste, triste comme le seraient les idées fixes et les addictions frottées ou non de sentiments, en attendant Godot ? Fidèle à lui-même, Patrick Autréaux signe le huis clos d’une géographie gourmande de tétons carabins, glands, prépuces, langues de sperme enchevêtrées tight dans une prose inclusive tête-bêche de l’autre à soi sans crier gare comme vie parallèle ponctuée d’instincts, de pulsions, d’attentes épicées de rendez-vous où le corps est roi et reine la mariée était nue un homme ; dans cette suspension glisse le temps cloué à une unité de lieu, canapé, sol, chambre, serial sex et ça recommence, carré blanc dans les étages, rideau sur le petit Jésus jardin et une absence de décor signant un ‘Ceci est mon corps, le pain et le vin’.

De la transfiguration à la transgression et.ou inversement, du Livre - délégué au domaine des digressions par les chemins détournés de l’art - au livre-petit-l, « sex memoir » (1) des assomptions du corps et lieu impur de la vie cachée des animots, il y aurait pour tout essayiste désireux d’explorer les relations pornochorégraphiques que la Littérature entretient avec Thanatos et Éros avec la créativité, matière à creuser autour du travail singulier que l’auteur poursuit d’ouvrage en ouvrage, arpenteur « parcour[ant] [à poil] avec aisance cette corde raide qui unit la [L]oi et les interdits ».

Confession aux allures de « petit traité de mystique appliquée » d’un « sex-machine » s’indurant dans le commerce explicite de la chair comme qui entre en religion, « Écrire, c’est [ici] être mené à ce lieu qu’on voudrait éviter. », le travail de langue collant à l’esthétique du corps génital, bruitage tactile et gros plans régressifs avec des acmés cinématiques du côté des peintres, basculant par nœuds coulants comme de l’un à l’autre de la réalité la plus anatomique à la poésie la plus claire, indissociable d’une mystique du corps celui-ci étant le point d’entrée d’une intimité confusément plus vaste et le seuil d’une censure sacrée, « le fond brûlant des débuts de la vie » se confondant avec le fond néant de son terme, la mort de l’amour préfigurant celle à venir.

Cette préscience subjective propre aux mouvements de l’âme à l’aplomb du corps réactive ce qui par un fil de plus en plus mince relie encore l’Occident à Dieu en ligne droite, l’à-pic de la pensée sous cache qui court-poursuit, classe et pérennise les actualités du corps, devant lequel la chair rassasiée de l’amant coranique dans le livre s’endort - se déconnecte de toute spéculation intellectuelle - ; cet épisode si l’on y pense, à l’égal de tous les objets pauvres qui jalonnent le livre - casquette, capote, slip à coque -  et qui, ouvrant sur une méditation, le fécondent, est l’un de ses temps forts, l’anecdote du chien faisant elle aussi figure de marqueur, cette fois du divorce de l’Homme d’avec son animalité.

Or c’est bien d’un tango (de lutteurs), à Paris, dont il s’agit, revisité d’homme à homme à la Francis Bacon, inspirant à l’auteur les accents souples du pouls stable de la beauté en ordre dès que douchée, peignée, rhabillée, jardin zen du corps abstrait de « l’écriture à flammes contenues » initiée jadis par la figure tutélaire de son grand-père, la phrase ici faisant office de vêtement - de cache-sexe -, l’ermite de moine, la chambre d’ardeur une cellule monastique, le motif religieux est pressé de s’incarner pour mieux se révéler à lui-même, la douleur fait partie du voyage à hauteur de l’extase, la distanciation n’est pas de mise, l’écriture doit jouir afin d’advenir (2), il n’y a pas de saison prédéterminée pour le brame, toutes les barrières ont été levées, les tabous ont convolé en sève, le corps subversif est un puissant révélateur, le sentiment est tenu en laisse, « il y a des savons neufs dans le tiroir du milieu », aimer c’est mourir (de plaisir) à soi en l’autre, seule issue - devant l’écriture - à la maladie de vivre : la transgression, l’irrégularité, autre thème cher à l’auteur  - de Virgilio (3) à Zacharia il n’y aurait qu’un pas en arrière séparé de quelques années -.

Livre d’impasses culturelles autant que charnelles, éloge de la diversité - domino, dominant, dominé -, deux univers ici s’interpénètrent pour des raisons diversement obscures - les gens du Livre, les gens du bled -, pour mieux se séparer : « Tout amant est une chimère. (…) Ou plutôt, tout amant crée un couple de chimères. » ; dès lors l’illusion, l’incongrue « glande de fiel au goût amer mais qui rend la vue » et « un sentiment très désagréable d’asymétrie », « poussent la lucidité au point de néant ou d’extase blanche ».

La poésie de tout s’accommode, caressant, prenant, salivant, suçotant l’air du temps, participant du changement, niche prompte à témoigner, marqueur d’une époque, d’un contrat moral, du statut des libertés, de glissements socioculturels, de renversements de valeur, de signes des temps, de métissages, d’errances citadines dans lesquelles la Nature profondément absente, qu’elle soit underground ou overground, n’est qu’exclusivement humaine : vite un arbre, un oiseau, un pussycat.

La poésie va et vient, investit ce vide, tombe peau à peau dans le récit séminal des corps, se rit de la censure, joue perd et emporte la partie, pose ce qui compte, une écriture tel un fin glaçage, un passeport sentimental, une mise en perspective, un retour sur soi, une fenêtre dans le mur, une respiration étale, un silence réparateur.

Chez Patrick Autréaux l’Autre est deux telle une seconde peau fait commerce de l’éphémère jusqu’à ce que l’écriture l’inscrive dans la durée - le sédimente -, tendue sur elle-même, mains dans les poches, porteuse d’évidences comme autant de nostalgies - «  C’est aussi de là – spleen – que semble naître en l’homme le poète. »

«  Écrire pour faire s’allier en une lignée sereine des points presque inaperçus. »

 

1 l’expression est empruntée à Edmond White
2
« (…) je reconnais que chaque fois que je suis arrosé par les postillons d’amour de mon amant,
j’écris bien mieux. »
3 « Les irréguliers », Patrick Autréaux, Gallimard, 2015

 

 

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