" Dans la légende ", de PNL : amour à la poésie. par Géraldine Geay
Fameuse poésie que celle pratiquée par PNL dans l’album Dans la légende. Bien loin de la chanson à texte assoiffée de reconnaissance littéraro-poétique. Le contraire, même : un évitement du littéraire, l’attention au littéraire – pas l’attention qui s’approche mais l’ « Attention ! » qui contourne, prudent, pour préserver sa fougue. Le choix de la langue vivante qui, du milieu dans lequel elle se développe à l’enregistrement du disque, ne passerait par aucune traduction, aucun intermédiaire ni, comme on le dirait en photographie, aucun négatif. La langue parlée-chantée tourne toute seule, fatalement gorgée de l’écrit mais sans le mendier, sans se soumettre à lui. Sans non plus l’affronter, contrairement au rap qui, francophone autant qu’anglophone, se dépatouille en permanence entre un discours du « je ne suis pas poète mais » (sous-entendu « mieux ») et une revendication un peu inflationniste « les nouveaux poètes c’est moi ». Aucune de ces arrière-pensées grosses comme des maisons chez PNL. Eventuellement, leur prétention se loge dans leurs clips, parce qu’ils ne les réalisent pas. C’est le propre des très grandes icônes de la pop de regarder avec émerveillement la réussite de leurs clips en semblant ignorer (en partie assez sincèrement) qu’ils en sont les muses.
Les textes de PNL, eux, courent largement au-delà de leurs intentions. Ils se déroulent tête dans le guidon, quand on trouve partout (dans le rap comme ailleurs) les tergiversations entre intentions littéraires, donc, et intentions (ni plus humbles ni plus nettes) de pur divertissement. Dans la légende recèle une langue-trésor, occulte comme tout, voilée, planquée, à la fois ultra-ouverte et, vis-à-vis des prétentions littéraires, intacte. Une langue d’aujourd’hui qui fait, avec ce qu’il y a, du neuf. Qui a le courage de continuer son développement fin et pudique lorsque la masse l’écoute. La masse (dont on peut être) a un prix à payer pour l’accès au trésor, c’est le voile.
« Si l’rap s’arrête j’ai toujours la cagoule », « Elle aime personne sauf ses enfants », « la dalle trop grande pour être honnête », « on s’connaît pas, j’aime pas ton passé », PNL égrène des formules parfois peu audibles, articulées floues (dans ce cas, plus on se penche pour comprendre et plus c’est occulte). Les sens possibles d’une même ligne défilent, tous riches, et la version écrite, les paroles consultées, quand on ne les avait pas devinées, sont encore au-delà de ce qu’on entendait. C’est tout le contraire du théâtre ou de la lecture publique, mais c’est aussi le contraire de la bien aimée vitesse du rap, qui croit qu’ajouter la quantité à la qualité de finition et de diction de l’écriture va accroître l’intensité. PNL fonctionne façon Blow Up d’Antonioni, dans lequel un photographe agrandit au tirage une image jusqu’à se noyer dans le détail fatalement et follement flou. Sauf qu’en chemin plein d’autres images, d’autres sens apparaissent. Et au bout il n’y a pas le rien, il y a un feu riche en une forme nette.
La dissolution n’est qu’en surface, en début, avec le jeu des noms propres, imaginaires forts qu’on sache les identifier ou non, phonétiques fortes, consonnes et voyelles extra-physiques. La bizarrerie de ces noms propres se mêle au verlan et à une curieuse prononciation, en réalité juste la leur, évidente, des mots les plus simples (par exemple « cagoule » cité plus haut). Tout ceci décuplé par l’auto tune, non pour éloigner la langue du commun mais au contraire pour familiariser la langue bizarre. La familiariser, comme dans le slogan de PNL « QLF- Que La Famille ». Agglomérer, flouter, certainement pas pour ragréer mais pour voir d’autres formes parlées apparaître et ne pas les craindre, les garder sur soi, éventuellement les quitter plus tard. Le jeu de la langue vivante, vitale, avec ses morts et ses reproductions. Tout est actuel, extrêmement actuel, bien trop pour basculer dans la facilité d’une langue d’un milieu. Une nouvelle expression commune peut apparaître à tout moment, les mots et les agglomérats de mots deviennent méconnaissables, redistribués, magnifiquement douteux, précisément au moment où ils deviennent de la famille. Dans ce nouveau, il est évident qu’on recroise de vieilles idées : la réussite angoissante, l’hypocrisie, le boulot quotidien que la musique fait quitter, l’artiste voyou…. Mais tout cela dans des figures d’un éclat net, car ces frères n’ont pas quitté le monde qu’ils évoquent. S’ils sont si contemporains et si, donc, ils commencent en plein dans les années 2010 une prise d’empreinte très forte du monde c’est qu’ils disent, ô prouesse, en direct d’où ils sont et d’où ils vont. Ils ne spéculent pas sur ce qu’ils quittent. C’est la force stupéfiante de la chanson J’suis QLF et du clip adjacent qui les montre profitant à leur façon, en famille – famille créée, désirée… - d’un décor étranger socialement reconnu comme paradisiaque. Le nouveau insiste en déplacement. Les corps de ces deux frères qui forment PNL peuvent bien changer de lieu, la langue n’a nulle part été tranquille. Terrés ou voyageant ils voient l’avenir. Devant cette chanson et ce clip on fait (en rougissant) le deuil d’efforts passés à essayer de trouver la langue facile et bourrée d’automatismes, et la vraie vie communiquée comme une chose du passé.