Ciels, visage de Sereine Berlottier par Carole Darricarrère
« (ne pas lire pieuvre car tout peut couler à l’envers) (…) pari noué/dés avalés »
Dans mon panthéon personnel, il y a les livres que l’on aurait aimé écrire soi-même, et les autres : respect pour tous et vagues d’attentes, juste avant de déflorer, au bord de le faire, intime avant toute chose, fœtal, « petit œil souple dont je ne sais rien (…) si je me retourne en dormant je crois que tu tombes », ou comment retomber sur ses pieds de livre en lire, rebondi de rondeur, filet couture d’un mince filet de langue, immobile présage à demeure.
Mystère, je ne sais pourquoi certains livres semblent avoir été écrits les mains en l’air, en état de lévitation à juste distance du ciel et de la terre, équitablement ‘ciel’ et ‘visage’, pluriel et singulier, jamais l’un sans l’autre, « pesée en grammes » : ils stand pour eux-mêmes, comme diraient nos amis anglais, ils seraient depuis toujours pour ainsi dire déjà-là, auraient (su) grandir et vieillir, extensions de nos chairs de mamans et de femmes, bonification de lumière, pour un peu en émanerait un léger parfum de lilas, à livre fermé sorte d’aura, Sereine Berlottier serait à la poésie ce que Agnès Obel est à la chanson comme à la musique ; à cet instant me souviennent les mots d’Esther Tellermann, « le poème peut contribuer à ‘panser’ notre mal-être » que relance « image, odeur, bruit de phrase : sauvetages mineurs » ; ou ceux de La rumeur libre, « ouvrir un livre comme on ouvre un chemin ».
Ouvrir chaudron de châtaignes, rouges confitures, cahiers aurores de larmes d’or, profil de sable à cheveux d’ange couvrant divin enfant ; ouvrir mots plumes, sentiers qui ramènent de soi à soi en passant par un ou une, clair obscur de sa propre chair : maman ou pas nous aussi.
« du lieu au lien
la durée n’est pas mesurable
(…)
petite mûre savourant ses ronces
l’été, demain »
Dans la maison-moi pas besoin de crier, les enfants poussent mais n’ont pas encore grandi, perdure le lien ; le temps se réinvente, l’âme transparaît, la poésie se sait chez elle, sobre et juste, juste et odorante, pelote de laine à dévider, Pénélope poreuse qui sait attendre, le corps à son ouvrage, l’amont en toute chose sait aimer.
Ouvrir au hasard c’est tomber juste, tout de suite s’ajuster, faire confiance à la rivière, flux de profonds reflets, attuned diraient encore nos amis anglais, sensibles réceptifs ; de l’autre côté de la mère il y a… l’enfant intérieur, « séparation étant l’origine de toute chose ».
Sereine Berlottier installe tranquillement le climat, tempérance tempérée, tempo de anima, pas besoin d‘en faire des tonnes (pour être comprise et entendue mieux vaut en dire moins), tout est là à fleur de peau & de linge, tout est clair ainsi suggéré rien n’est grave : quand on aime, et que ça fait écho entre les lignes, échelles de lecture entre les doigts, sens jamais ne déçoit, ni précieuse ni pressée, eau de roche vaut présence (« marges pour dire/sans précipitation »).
Dit-elle, « les dates/quelle importance », « étés (d’autres sommeils) ». « Tel que paisible/mobile, diffracté », le charme opère, persiste, « graines de disparition / plantées / chaque jour », « dans cette ouverture », « un certain besoin de silence » (« il faut du silence pour qu’un paysage s’ouvre »), une leçon de poésie, « c’est une petite cabane » (le livre).
Dans son panthéon personnel, tout vaut d’être écrit conjugue célébrer « la petite solitude du poème », souligné à la gomme, accueilli comme pressenti comme filtrer, paupières mi-closes, hors langue en réserve sous la langue, lire dure, libre de se penser embryon de phrase et ombre de la lettre, de se connaître deux en un, de se voir complétée à la lecture, Sereine Berlottier déroule et tend patiemment le fil de l’araignée, tisse des écrins de temporalité dans le vide comme des « vols jetés / sur un ciel noir », « le viable en notes friables », « de face mais combien de faces ? », « cette bouche sans parole / n’est pas sans pouvoir ».