Deuil pour deuils de Christophe Stolowicki par Carole Darricarrère

Les Parutions

08 nov.
2018

Deuil pour deuils de Christophe Stolowicki par Carole Darricarrère

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Tout de suite la vibration, cette intuition de tenir tout de bon à deux mains un livre important, un texte qui compte, un livre qui reste, tout prêt à s’enfoncer dans le temps comme en un terreau fécond, rend hommage à l’éditeur et à la liquidité du lien qui le lie à son auteur.

 

« Notes d’un carnet de damné », portrait « Taillé au corps d’eau », chronique d’une mort annoncée attendue à confesse telle une naissance à l’envers, peine capitale d’un lit de concordance, huis-clos de la complétude boiteuse, éclairée, éclairante, d’une épreuve de vérité, écrire comme l’on fait retour à flux tendus sur le motif, rompre le silence sur les années qui dépassent dans celles qui trépassent et se refusent à l’élégie, hara-kiri de l’un à l’autre couplé.

 

« Tortures vaines d’un bon époux, meilleur que fils (…) fourrageant dans la masse de la langue (…) le bref vrai ; vrai tout compte fait ; vrai en somme (...) de cinq ou six veuvages », pollen pluriel des exhumations, je résume. Au détour d’une page, rendu « dans un haut recoin » de cendre, « la culpabilité ne lâche pas Caïn » tandis qu’œuvre repasse, musée mental des manquements, les orgasmes de la langue en diagonales de délicatesses, à rebrousse-torts redressés, sur divers degrés d’à-plats tempérés de sang en attente d’être sublimés, « la durée du sapiens sapiens » pour principale succession.

 

On reconnaîtrait sa griffe entre mille millésimes, noms de domaine de sublimes datations, carrefours venteux du vol à l’élastique, - nonobstant les barreaux, poings courts, phrase soumise au capuchon de cuir -, l’oiseau inlassable de fauconnerie polonaise qui a élevé l’art de la critique au rang de création, tant il danse avec le Jazz, Christophe S, S comme Stolowicki, J comme Joëlle, D comme différence, le redoutable funambule de la langue des surdoués, je cite, « Cette nuit encore j’ai cru à la nuit blanche avant que tonsure et morsure ne martèlent une âme de moinillon. », « (…) jamais les fins de semaine déposant vendredi sur l’île aux serpents, la presqu’île aux trésors n’ont d’un beat plus sourd accéléré le déploiement, déployé la queue de paon de cymbales des jours. » : peu de livres vraiment n’auront autant mérité le cadeau qu’on leur fait de les lire, relire, de les écrire, d’en partager l’insolente leçon de poésie.

 

Voix off de la fonction sublime, dans la lumière contagieuse d’un autre regard, contemporain de la maîtrise, novembre nous offre le kairos de l’aigle tombé de son nid d’absence majeure, son nid de pierres éternelles généreusement perché, sa camisole de quintessence, les lemniscates omniscients de sa parole gymnaste plongée dans le cambouis d’outre-tombe, œil pour œil, « deuil pour deuils », tête à tête, son combat avec l’ange, la pierre à rouler du silence qui décime, décille, tantôt apaise tantôt écartèle, tant et si bien que l’on n’en finit jamais de retourner ses morts, chaque mort à venir déterrant la Question, qu’en faire, sinon précellence de sincérité, acte de maturité comme de musique. Château de sons, figures de style, « Monk Plays Duke Ellington » rien que pour la lettre L, L comme Elle, deuil comme dieu « Every Time We Say Goodbye », les grandes épreuves font le lit des grandes œuvres.

 

Ce merveilleux faire-part, fermoir, défouloir, ce couloir de décompression encré sur le qui vive d’une fin de partition à venir, d’une plume nerveuse de contrition effilée, « J - ? de mécompte à rebours. Le futur en tout ce que la grammaire et la sémiologie ont tramé, intelligible seulement quand il n’y a plus d’avenir. », comment « ras conter » sans raconter, si « Relater c’est frelater, dit Leiris, taire est pis. » la plus intime blessure, la procession d’amour de la dame aux camélias, sans la trahir, ni tomber dans le panneau, la joliesse, l’autoflagellation, le pli rosé de la fesse, la tentation du lamantin, l’amertume du pénitent, la sublimation de l’amoureux, comment écrire comme on est vrai, pourquoi le faire, faire tomber la part la plus inviolable de son intimité dans le domaine public sans la déflorer, sinon pour exister, résister, d’un coup de talon rejoindre le grand air guérisseur de la surface, offrir la lucidité d’un libre-arbitre consenti faisant l’économie d’un chemin de croix, sa charge rémanente incombant à sa moitié, faire prouesse sans épanchement, se confier corps et âme à la Littérature, là où la psychanalyse aura échoué, un exutoire les solos lettrés de l’initié « déblay(ant) les perles avec les gravats » : « Chaque phrase à reprises, à redites lève une douleur pour la déposer plus avant. Chaque phrase mal équarrie, arrachée de sa gangue » transmute la vitesse d’exécution en or du temps.

 

D’un droit de l’être à un droit de lettre, le plus beau cadeau d’amour, assorti de la peine la plus lourde, « À défaut d’amour fou le chagrin fou, à me lacérer », « De mois en moi mon deuil prend son essor d’hommage. » : « Tout est-il bon à dire ? C’est Elle qui posait la question », c’est le Poème qui s’en empare.

 

 

 

 

 

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