24 janv.
2006
L'eau des fleurs de Jean-Michel Reynard par Emmanuel Laugier
Avec L'Eau des fleurs, œuvre posthume, Jean-Michel Reynard laisse un livre époustouflant tel que l'on n'en avait pas vu paraître en France depuis 10 ans. Il en faudra dix autres pour que l'on prenne vraiment la mesure de sa portée.
Décembre 1996 et avril 2003. Ce sont les deux dates que Jean-Michel Reynard précise à la fin de ce livre-testament auquel il donnait un statut tout autre que les précédents. Presque comme Rousseau déposant son manuscrit dans la crypte de l'église Saint-Sulpice pour être seul face à Dieu, Jean-Michel Reynard portait ce livre cousu à son cœur, sorte de dernière balise susceptible de racheter le métier d'écrire tel qu'il n'y crut jamais. Jean-Michel Reynard écrivait dans cette solitude-là, au point où elle ne sauve de rien, là-même où l'endurer consiste à porter la nullité et la cochonnerie de l'écriture jusqu'à son irréversible impossibilité de retour.L'eau des fleurs est un livre fêlure, un Livre-fêlures, et il faut entendre le mot comme un acte qui troue l'être et l'ouvre simultanément au dehors, le jette vers cette ì région non-dirigeante " à laquelle il incombe à la littérature, selon Blanchot, de se confronter. Acte qui ne fait pas que laisser le danger venir à lui, mais le provoque et l'appelle jusque dans la folie qu'un mot, une phrase cherchée, font entrer sous le crâne, le souhaitant presque, rejoignant ainsi la profonde intuition de Hölderlin : ì là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve ". L'Eau des fleurs s'étaye ainsi à l'expérience de cette tension en la faisant sienne, c'est-à-dire en la réactualisant dans ses propres perceptions du temps et de l'époque. Il traverse dans l'invention d'une langue saccagée une méditation doublée d'une confession, mêle systématiquement des pages entières, d'une rare densité, des pages de réflexion sur le poème et la littérature, à la tentative sans lassitude de se débarrasser de soi-même, de se désubjectiver pour enfin toucher le centre vide et pivot de notre rapport au réel.
Avec ce livre, il aura été question de percer la surface étale de l'eau, de la froisser, de pousser libre son rythme, de le simplifier en passant par toute la complication où une langue se perd et s'ajuste en un tour de main diabolique. Rageur, sans complaisance, sans écoute presque de ce qu'elle ne dira jamais à son lecteur, ce monologue impétueux, creusé de bouts de perceptions sensibles et lumineuses (couleur des îles, des lumières, des terres, des visages, etc.), de pointes méditatives retrempées dans le prisme d'une écriture qui se cherche, de poèmes en colonne, s'achève, rincé de toute son eau amère, par l'impression d'un apaisement inouï.
Décembre 1996 et avril 2003. Ce sont les deux dates que Jean-Michel Reynard précise à la fin de ce livre-testament auquel il donnait un statut tout autre que les précédents. Presque comme Rousseau déposant son manuscrit dans la crypte de l'église Saint-Sulpice pour être seul face à Dieu, Jean-Michel Reynard portait ce livre cousu à son cœur, sorte de dernière balise susceptible de racheter le métier d'écrire tel qu'il n'y crut jamais. Jean-Michel Reynard écrivait dans cette solitude-là, au point où elle ne sauve de rien, là-même où l'endurer consiste à porter la nullité et la cochonnerie de l'écriture jusqu'à son irréversible impossibilité de retour.L'eau des fleurs est un livre fêlure, un Livre-fêlures, et il faut entendre le mot comme un acte qui troue l'être et l'ouvre simultanément au dehors, le jette vers cette ì région non-dirigeante " à laquelle il incombe à la littérature, selon Blanchot, de se confronter. Acte qui ne fait pas que laisser le danger venir à lui, mais le provoque et l'appelle jusque dans la folie qu'un mot, une phrase cherchée, font entrer sous le crâne, le souhaitant presque, rejoignant ainsi la profonde intuition de Hölderlin : ì là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve ". L'Eau des fleurs s'étaye ainsi à l'expérience de cette tension en la faisant sienne, c'est-à-dire en la réactualisant dans ses propres perceptions du temps et de l'époque. Il traverse dans l'invention d'une langue saccagée une méditation doublée d'une confession, mêle systématiquement des pages entières, d'une rare densité, des pages de réflexion sur le poème et la littérature, à la tentative sans lassitude de se débarrasser de soi-même, de se désubjectiver pour enfin toucher le centre vide et pivot de notre rapport au réel.
Avec ce livre, il aura été question de percer la surface étale de l'eau, de la froisser, de pousser libre son rythme, de le simplifier en passant par toute la complication où une langue se perd et s'ajuste en un tour de main diabolique. Rageur, sans complaisance, sans écoute presque de ce qu'elle ne dira jamais à son lecteur, ce monologue impétueux, creusé de bouts de perceptions sensibles et lumineuses (couleur des îles, des lumières, des terres, des visages, etc.), de pointes méditatives retrempées dans le prisme d'une écriture qui se cherche, de poèmes en colonne, s'achève, rincé de toute son eau amère, par l'impression d'un apaisement inouï.