Le chant de la nature de Gulzar par Carole Darricarrère
Parce que, l’Inde ; corbeille de curiosités, mystique du pauvre, tropisme du gentilhomme ; de quels dédales de matière, surgit accolé au texte, à petits coups légers de pommeau, le matin ?
Si l’on considère que chaque livre ait sa propre aura, celle-ci tirerait indubitablement vers le vert, un vert banian, en témoignage du pays d’où il nous parvient, Mother India !, autant dire d’une autre planète ; du nom aussi des éditions Banyan, qui l’hébergent.
Vert globalement, vert crucial marbré infrarose, d’effervescences gulab jamun, au niveau du cœur, de paysages ultraviolets au plan coronal, et de climats. Avec par endroits l’ozone de ces petits trous, des apnées et des zones de non-droit, dès lors que le paysage se dépaysage comme il se déclame, au profit de la laideur, que les dieux l’abandonnent, comme un vulgaire chantier, aux hommes.
Cette poésie simple, en voie d’extinction, d’une conscience à l’œuvre, si étrangère à nos paysages mentaux, déborde littéralement le cadre étroit de nos concepts : trente-trois millions de dieux (sic) y survivent les uns les autres, avec beaucoup de malice, un cœur pur d’enfant, et la maîtrise des sages.
Elle me rappelle une histoire de longue date qui me fut contée lors d’un séjour ancien, en Inde, par un brahmane. Bhopal et son peuple étaient alors en deuil et réclamaient à corps d’indigents et à grands cris de désespoir un remède. La ville, par l’entremise d’un chauffeur de taxi, organisa alors de prendre en otage tel fameux poète, le porta en place publique et lui ordonna de déclamer ses vers. Il se fit un grand silence, au cours duquel la foule guérie de ses maux se pâma.
C’est dire quelle valeur l’Inde accorde à la poésie. Cette poésie-là, écrite avec l’innocence pleine de notre enfant intérieur, s’adresse sans intermédiaire au cœur, sans passer par la tête. Elle prête des sentiments aux arbres et des intentions au soleil, elle nous renvoie, nous maudits, à nos handicaps, elle nous désarçonne et nous désarme, nous rappelant à un espace de joie inconditionnelle que rien jamais ne saurait entamer.
Qu’un livre de bienveillance, égrenant la dénaturation du monde entre peinture naïve, piécettes de poésie, volées de linges aux étoiles, conte, chant, méditation, levers de sentiments, de cour en miracle au ras d’un fil d’humeurs, nous engage avec autant de candeur écho responsable à regarder et à aimer, fasse appel aux registres du coeur, nous renature et nous ressensibilise, est-il encore, sinon raisonnable, envisageable ?
Ici la réalité bonhomme travaillée dans le sens du poil, bon bougre mal gré et porte à porte, roucoule terre à terre sa facture endogène, boue en l’air.
Gulzar, qui dévoilant « le chant de la nature » initie à la pirouette nos esprits rigides, est un poète, parolier, réalisateur, scénariste, producteur et dramaturge indien né en 1936 à Dina dans l’actuel Pakistan. Il jouit en Inde d’un immense renom et ne manque pas d’humour. De nombreuses récompenses lui ont été décernées, parmi lesquelles la plus haute distinction indienne, la Sahitya Akademi Award, en 2002.
« Est-il possible qu’un jour / Rien ne se passe, / Absolument rien… / Et qu’allongé sur mon lit, je demeure immobile le temps d’une soirée, / Juste à l’arrêt, / comme un poème qui, après avoir été lu, reste suspendu / Que je le reste aussi... ! ».