Made in Eden d'Aldo Qureshi (2) par Carole Darricarrère
Quelque chose se passe ici
Qui n’était pas survenu depuis longtemps
Quelque chose se réincarne
Quelque chose se dés-haltère
Quelque chose se clippe aux frasques du conte
Se retourne grésille boassecocoricotte
Épinglé au fond d’un lit se Métamorphose
Joué aux dés à la marelle quelque chose
S’asile s’envole lâche le camembert
On le liche on le like on le gobe cul sec
Ce machin polymorphe à vous filer la chair de poule, autrement dit la pétoche, s’écorche debout page à page jusqu’à la dernière plume, jusqu’au sang, jusqu’au sens
*
Cette nuit-là, la nuit où j’ai entamé la lecture de « Made in Eden », je n’ai pas pu fermer l’œil, même qu’à 4h14 after midnight je suis redescendue dans la jungle y cueillir une pomme, qu’il y avait un boa dans l’évier de la cuisine, un boa sans queue ni tête, et qu’il a fallu que je me pince, puis que je l’épile, façon Qureshi ; quelques instants plus tard, à 4h41, le petit oiseau s’est mis à chanter, j’ai dû marquer les pages que je souhaitais relire pour mieux les chroniquer, avec des pelures de pomme ; maintenant il est 5h29 et c’est absurde mais je vois des bêtes partout, qui n’en sont pas mais ressemblent plutôt auxanimotsd’un bestiaire bizarre :effet bœuf, bienvenue en Qureshi land, c’est-à-dire en Extasie !
Avertissement, « il est encore possible de changer d’avis » ; âmes sensibles, esprits cartésiens, prière de vous abstenir ; sinon, apprêtez-vous à passer une nuit blanche, à dormir debout ou à devoir marcher sur la tête.
Sinon et pour le résumer, mis bout à bout et de mémoire de boudin, cela fait sang (100) + une = 101 bulles sadomaso-poétiques de bédé baroque délicieusement trash assaisonnée gore, pas mal de sauce ketchup labellisée OGM et quelques cadavres zoomorphes somatisés in vivo au vivier imaginaire pour rire(mais jaune), ou mieux se bidonner, bref çà dékarche énormément et donne un sacré coup de fouet au Poème ; leçon de pep’s, voici un OPNI (Organisme Poétique Non Identifié) plein de poésie mad in Edenqui en réjouira plus d’un.
Échantillon numéro 34 (« slow Motion »), commence par un dessin, une devinette graphique, réminiscence de la charade ou du rébus au dos d’un papier bonbon, en guise de papillote psychédélique.
Ou comment prendre le lecteur en otage, le retourner comme une crêpe, le faire passer du coq à l’âne, du rire aux larmes, du lard au cochon, jusqu’à ce qu’il ne sache plus sur quel pied danser, n’en croie plus ses yeux, pourvu qu’il en dépende et en redemande ? Attachez vos ceintures, soyez inquiets, Aldo Qureshi, ce grand Halloweenien, va vous jouer quelques-uns de ses tours aux dépens de la grande roue, perché au-dessus du vide, vue plongeante sur la cour aux miracles, voici son premier livre, un coup de maître : « Made in Eden » ! Y’a pas photo, c’estlelivre que l’on n’attendait plus, un petit bijou macabre, un miracle à l’état pur, une machine à rêver à fond la caisse qui ne se prend ni le chou ni la tête, défie l’imagination, fait bouger les lignes ; un livre de poésie loufoque indispensable qui ne débande pas, sans pathos ni complexe, ose la caricature et fait au passage un joli pied de nez au cercle des poètes disparus.
Page de gauche :
« COMMENCEZ PAS À VOUS ÉNERVER
la poésie viendra tout à l’heure
quand ce sera le moment
quand j’aurai trouvé comment on allume cette saloperie «
Page de droite, en capitales et en caractères gras, trônant au milieu de la page : SE0E01 ; en-dessous et entre parenthèses : ( et soudain, c’est le drame )
Une formule magique ? L’auteur en possède quelques-unes, renversantes, tel le chiffre 4, arme fatale absolue. Mais non, si vous cherchez bien, c’est la référence d’une pièce détachée de la marque Honda ! Déçus ? Non, nous sommes en 2018, il était temps que le Poème se réclame du recyclage.
Il se pourrait qu’Aldo Qureshi soit sorti de la cuisse d’Einstein, ou de l’oreille de Kafka, du lapin blanc d’Alice, de la chemise d’Edgar Allan Poe, du bestiaire de La Fontaine, de l’intranquillité made in Pessoa, d’un manga ou d’un asile de fous. Il dévore son texte par cœur la bouche en feu en se mordant un peu la langue, il l’écrit avec une perversité quasi maniaque, il fait son compte à un certain nombre de certitudes, passe en revue un lot de clichés, dilate l’espace et le temps, fait voler la raison en éclats, flirte avec l’onirisme, l’onanisme, le scabreux, repousse les limites, se moque de lui et s’en amuse énormément, nous tient en haleine, réveille notre enfant intérieur, baroque le motif ; avec lui la réalité taille une drôle de gueule et l’humanité menace à chaque page : son man made in Eden entretient des affinités électives avec l’enfer. Mi-homme mi-bête, se métamorphosant au fil des pages, cet homme-là est sans pitié, son monde ressemble étrangement au nôtre version années 2040 : il se pourrait qu’Aldo Qureshi soit aussi un visionnaire de génie.
« la vie en pire «
hop hop hop
« femelle coq choisir banane »
on y va, à la gestuelle de la langue, on y vient
« l’interminable page 200 « (qui bien entendu n’existe pas)
à son élasticité de bouche à son humour de failles
« huit ; huit : huit « (s’agissant d’une fuite, gouttant d’un fragment de nouvelle à un autre - jamais plus d’une page, chaque fragment participant d’une continuité)
« la hchouma sur 32 générations « (atchoum !…, de l’arabe«honte»,«inconduite qui suscite la honte, le scandale », « j’ai un coq en plein milieu de la chambre (…) il monte sur la table et il m’observe, il observe comment je fais, comment je m’y prends pour fuir mes responsabilités »)
à son postillonnement, mains moites, la pierre au cœur un blanc avant la lecture
« carie en 2D «
cracheur de feu, lance-flamme
« je suis dans le tiroir du bas «… « les rivaux »… « le copuloir de travers « … « mur avec vue » (j’en passe et des meilleures)
On y vient à la transe, au film, à l’onde de choc, au point de non-retour
on dirait des clips, possible que l’auteur avale trop de clips, la nuit, en fumant la moquette
Bouche bée et à la loupe le trou noir de la narine happant le flot avant-pendant-après on y va
On monte dans ce train à grande vitesse, on n’en descend plus, perdue la destination
on s’en fout le paysage est là qui défile à toute allure
les images s’entrechoquent, on prend la claque, le virage, la salve
comme qui prend la vague, le vent, on roule-boule le long de la pente, qu’est-ce qu’on est vivant, on rit, on y est, on y est, on tient la scène entre les yeux, on attend la suite, attend la suite, on est prêt à tout, tout près
Pour connaître la suite la chute l’action de la chute la fin la fin de l’histoire on se la joue crevette, on perd le fil, on a 10 ans avec de la hauteur, on se réveille insecte sur le dos, des écailles plein la bouche, ne sachant plus qui l’on est, si l’on est dans un lit ou dans un livre, dans une nouvelle ou dans une bédé, en enfer en rêve ou en réalité, en feu ou en fièvre, un vrai cauchemar, une plaisanterie, un supplice, une torture
Mais on y est, corps et âme, avec le corps de sensations, et c’est sensationnel, c’est physique, c’est drôle, c’est fou, c’est caricatural, c’est çà, c’est cela, une scène entière est passée dans la langue comme par inadvertance entre les mots s’est logée, s’est architecturée, la langue l’a zoomée jusqu’au blam final, le four va exploser, le poète va exploser, l’assistance va exploser : fin !
Fin on en redemande
Cet arbre nous offre pêle-mêle
Pommes au four poires cerises boas concierges faux nez lorgnons, saignées pessoïennes en contre-plongées kafkaïennes, bien qu’Aldo soit complètement Aldo c’est-à-dire unique, Aldo est un lanceur d’alerte échappé d’un zoo d’un cirque d’un hôpital psychiatrique, de l’esprit d’un petit garçon surdoué de la langue dont l’imaginaire fertile nous réenchante à chaque page, Aldo est baroque noir, on est Qureshi, on est complètement Qureshi de lui.
Qu’ajouter ? Sinon citer…
Samuel Beckett…
« Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent. «
Louis Scutenaire…
« J’écris pour des raisons qui poussent les autres à dévaliser un bureau de poste, abattre un gendarme ou son maître, détruire un ordre social. »
Et lire, relire Aldo, pour lui-même, soliste du cirque revivifié du beau nom de Qureshi, à qui l’on souhaite, pour notre plus grand bien, longue vie.