Antoine Emaz (1953-2019) par Tristan Hordé
Il est difficile d’écrire à propos d’un écrivain dont on a apprécié pendant vingt années la rigueur, l’exigence, l’humilité, la capacité de douter de son travail, l’extrême attention à la poésie qui se publiait. Il a passé sa vie professionnelle au lycée, sachant toujours écouter les élèves avant de parler. Son activité de poète a commencé dans les années 1980 (Poème en miettes, 1986) et s’est poursuivie volontairement en marge de la "grande édition" ; en dehors des livres d’artistes, il a publié principalement aux éditions Rehauts et Tarabuste, dont les responsables sont devenus des amis.
Antoine a toujours reconnu sa dette envers Reverdy auquel il a consacré une thèse. Comme celle de son modèle, sa poésie s’est construite à partir de la vie quotidienne, des éléments du réel les plus communs — la glycine du jardin, la table de travail, les bruits de la maison —, c’est-à-dire de ce qui (se) passe, de ce qu’il y a, là, de tous les petits riens qui font le tissu de la vie. Ce lyrisme de la réalité, loin de tout formalisme, est aussi ancré dans l’Histoire et la mémoire. En effet, Antoine Emaz n’était pas un poète fermé sur le « moi ». Si écrire était pour lui un moyen de tenir contre la violence du monde, et de se tenir debout, il y a toujours eu chez lui la volonté de communiquer : pas de « je » mais un « on », que tout lecteur peut prendre en charge. Sa poésie s’efforce de restituer la diversité du vivre pour que l’expérience personnelle soit partageable, que l’émotion circule. C’est pourquoi, même si « la poésie ne peut qu’être langue différente, elle doit être aussi en train de rêver qu’elle s’abouche à la langue de tous. »