15 déc.
2010
Contrat d'auteur, prix et profit par Stéphanie Eligert
La publication française de London Orbital est un bel événement politique. Il faut vivement en remercier les éditions Inculte, sans pour autant négliger de leur adresser deux reproches, l'un mineur - l'autre radical :
- Le reproche mineur est que le plan de la M25, reproduit sur la quatrième de couverture dépliable, ne soit pas plus détaillé. Bien que je ne connaisse pas Londres, l'amour des plans - et la sensation qu'ils donnent nécessairement un surplus de concret - est souvent frustré de ne pouvoir accompagner plus précisément Iain Sinclair dans la minutie de son exploration ; c'est un outil qui manque en permanence à la lecture-marche. Est-ce pour une question d'économie de fabrication ? D'« optimisation des coûts » éditoriaux ?
- L'objection radicale : hier soir, déjà très attachée à ce livre, je le manipulai, appréciai sa finesse de composition (le caractère Tribute est magnifique), le beau poids qu'il donne dans la main et j'observai chaque détail plastique de sa couverture. Et quelle ne fut pas ma stupeur de voir que sur le dos du livre, il n'y a ni le nom de Sainclair, ni le titre de son texte, mais :
- 25 € ;
- Inculte ;
- un code-barres ;
- une inscription illisible en corps 2 ou 3 (où il me semble cependant distinguer le mot
« artwork »).
Pourquoi ce choix ? Il est d'autant plus problématique que le « vrai » code-barres - celui qui permet aux libraires de le « doucher » dans le magasin - est déjà sur la quatrième. De quoi s'agit-il donc ? D'un code-barres esthétique ? Et d'une esthétique qui se veut critique (faire en quelque sorte payer le lecteur pour un tour subversif de Londres) ? Peut-être est-ce une volonté de Sainclair lui-même (ce qu'il faudrait alors vérifier avec la plastique choisie pour l'édition anglaise) ? J'ai longuement hésité face à ces options et j'y aurais peut-être adhéré si ce code-barres et ce prix n'avaient pas supprimé la présence du nom de l'auteur et du titre de son livre.
A ma connaissance, c'est la première fois qu'un livre ordinaire du champ de la littérature est fabriqué en France en faisant non seulement apparaître le prix du livre sur son dos, et en n'y imprimant pas le nom de l'auteur. Cette concomitance inédite a au moins l'intérêt de résumer, dans un abstract lumineux, ce qu'il en est du marché du livre : l'important, c'est le prix (soit le Chiffre d'Affaires et le profit escompté), le code-barres (la conformité de la marchandise avec les règles de circulation sur le territoire) et, bien entendu, le nom de l'entreprise qui commercialise ce produit (Inculte). Là dedans, l'écrivain a la place de l'ouvrier, celui qu'on fait au final *disparaître de la chaîne de production alors même qu'il est le principal producteur.
Qu'il revienne aux Incultes d'inaugurer une telle netteté libérale n'est sans doute pas si étonnant que ça. Et il est vraiment temps, me semble-t-il, de considérer avec le même type de netteté la particularité politique de ce collectif dans l'histoire littéraire récente. On y reviendra.
____________________
* Oui, au final, car sauf décision exceptionnelle, ce livre sera rangé comme les autres dans nos bibliothèques, couverture contre couverture, avec pour seule face visible : son dos.
- Le reproche mineur est que le plan de la M25, reproduit sur la quatrième de couverture dépliable, ne soit pas plus détaillé. Bien que je ne connaisse pas Londres, l'amour des plans - et la sensation qu'ils donnent nécessairement un surplus de concret - est souvent frustré de ne pouvoir accompagner plus précisément Iain Sinclair dans la minutie de son exploration ; c'est un outil qui manque en permanence à la lecture-marche. Est-ce pour une question d'économie de fabrication ? D'« optimisation des coûts » éditoriaux ?
- L'objection radicale : hier soir, déjà très attachée à ce livre, je le manipulai, appréciai sa finesse de composition (le caractère Tribute est magnifique), le beau poids qu'il donne dans la main et j'observai chaque détail plastique de sa couverture. Et quelle ne fut pas ma stupeur de voir que sur le dos du livre, il n'y a ni le nom de Sainclair, ni le titre de son texte, mais :
- 25 € ;
- Inculte ;
- un code-barres ;
- une inscription illisible en corps 2 ou 3 (où il me semble cependant distinguer le mot
« artwork »).
Pourquoi ce choix ? Il est d'autant plus problématique que le « vrai » code-barres - celui qui permet aux libraires de le « doucher » dans le magasin - est déjà sur la quatrième. De quoi s'agit-il donc ? D'un code-barres esthétique ? Et d'une esthétique qui se veut critique (faire en quelque sorte payer le lecteur pour un tour subversif de Londres) ? Peut-être est-ce une volonté de Sainclair lui-même (ce qu'il faudrait alors vérifier avec la plastique choisie pour l'édition anglaise) ? J'ai longuement hésité face à ces options et j'y aurais peut-être adhéré si ce code-barres et ce prix n'avaient pas supprimé la présence du nom de l'auteur et du titre de son livre.
A ma connaissance, c'est la première fois qu'un livre ordinaire du champ de la littérature est fabriqué en France en faisant non seulement apparaître le prix du livre sur son dos, et en n'y imprimant pas le nom de l'auteur. Cette concomitance inédite a au moins l'intérêt de résumer, dans un abstract lumineux, ce qu'il en est du marché du livre : l'important, c'est le prix (soit le Chiffre d'Affaires et le profit escompté), le code-barres (la conformité de la marchandise avec les règles de circulation sur le territoire) et, bien entendu, le nom de l'entreprise qui commercialise ce produit (Inculte). Là dedans, l'écrivain a la place de l'ouvrier, celui qu'on fait au final *disparaître de la chaîne de production alors même qu'il est le principal producteur.
Qu'il revienne aux Incultes d'inaugurer une telle netteté libérale n'est sans doute pas si étonnant que ça. Et il est vraiment temps, me semble-t-il, de considérer avec le même type de netteté la particularité politique de ce collectif dans l'histoire littéraire récente. On y reviendra.
____________________
* Oui, au final, car sauf décision exceptionnelle, ce livre sera rangé comme les autres dans nos bibliothèques, couverture contre couverture, avec pour seule face visible : son dos.