WINTER IS COMING, 4 par Jean-Yves Bochet

Les Incitations

11 déc.
2021

WINTER IS COMING, 4 par Jean-Yves Bochet

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SEX, SKINS AND SKAM

 

 

 

Depuis une dizaine d’années, les « teen drama » (séries mettant en scène des adolescents), sont, paradoxalement, devenues beaucoup plus adultes.

Jusque dans le mitan des années 2000, la télévision, essentiellement américaine, nous a montré, à de rares exceptions près, une jeunesse assez insouciante,dans la grande majorité des cas, blanche et hétérosexuelle, qui se préparait à intégrer le monde des adultes, d’une manière conforme à ce que les parents espéraient. Pour cela, les adolescents résolvaient des mystères, luttaient contre des méchants qu’ils étaient parfois les seuls à voir et tombaient amoureux.Leurs histoires d’amours étaient souvent compliquées, paraissaient impossibles, mais contrairement à la chanson, ne finissaient pas mal en général, car elles étaient la clé d’un monde futur où tout devenait possible, un monde souvent compliqué mais qu’ils avaient mérité et qu’ils avaient hâte de découvrir.

Dans les années 90, quelques séries ont tenté timidement de faire évoluer la vision lénifiante qu’avait la télévision de l’adolescence, en traitant, de façon encore très marginale, des sujets comme l’homosexualité, la violence à l’école ou l’addiction à l’alcool et à la drogue. On peut citer parmi ces séries novatrices : Angela 15 ans, centrée sur la recherche de son identité par une adolescente, avec dans le rôle titre Claire Danes que l’on reverra plus de 20 ans après dans Homeland et Buffy contre les vampires, un show devenu culte pour toute une génération, qui montre, tout au long de plusieurs épisodes, une relation amoureuse s’instaurant entre deux des personnages féminins principaux.

 

SKINS

 

Mais ce n’est pas des États-Unis mais d’Angleterre, que viendra le véritable changement. Entre 2007 et 2013, et s’étendant sur 7 saisons et 61 épisodes, Skins suit et raconte le quotidien d’une bande de copains lycéens, à Bristol. La série se démarque radicalement des teen dramas habituels par plusieurs aspects. Tout d’abord, la production engage des comédiens inconnus (entre 15 et 18 ans) pour interpréter les rôles principaux, la plupart d’ailleurs ayant fait carrière à Hollywood depuis la fin de la série. Ensuite le casting est renouvelé toutes les deux saisons, on suit donc trois générations de lycéens, la septième et dernière saison montrant ce que sont devenus trois protagonistes du show. Enfin la série aborde des sujets jusqu’alors peu ou pas traités dans les teen dramas : les relations sexuelles (aussi diverses que très présentes), la violence, les troubles de la personnalité, l’autisme, le harcèlement ou bien encore et surtout la toxicomanie, le terme skins signifiant, en anglais argotique, le papier à rouler, celui que ces adolescents utilisent constamment pour fabriquer leurs joints de cannabis.

Chaque épisode se focalise sur un personnage, ses actions, ses problèmes et son mal être, que les adultes, eux mêmes encombrés de leur vie, ne peuvent pas ou ne prennent pas le temps d’aider. La série n’est pas dépourvue d’humour, loin de là, mais l’impression générale qui se dégage de ses sept saisons n’est pas très joyeuse. Amours contrariées, amitiés trahies, impossibilité de s’insérer dans la société, addiction aux drogues, incapacité à se projeter dans le futur et plus généralement détresse adolescente, sont quelques uns des problèmes concrets auxquels doivent se confronter ces trois générations de lycéens anglais, interprétés avec beaucoup de justesse par une bande de jeunes acteurs et actrices. Très bien accueillie en Angleterre, la série a collectionné les récompenses et a été diffusée dans plus d’une vingtaine de pays dont les États-Unis, qui ont censuré quelques répliques, flouté les scènes de nus et produit un remake, annulé dès la première saison.

 

SKAM

Entre 2015 et 2017, Skam, une série norvégienne va suivre le quotidien de quelques lycéens, en s’intéressant, chaque saison, plus particulièrement à un personnage et à une thématique centrale, à la manière de Skins, et passionner la jeunesse norvégienne durant quatre saisons et 43 épisodes. Parmi les thèmes abordés il y a la religion, l’homosexualité, la bipolarité, le cyberharcèlement ou même le viol. Skam (le titre est la traduction du mot « honte » en norvégien), comme Skins va employer de jeunes comédiens, peu connus du public et ayant l’âge du rôle. Moins sombre et plus introspectif que son homologue anglais, Skam va connaître, à partir de la saison 3, un engouement international et de nombreux pays vont vouloir adapter la série. La France associée avec la Belgique va lancer Skam France au début de l’année 2018, en reprenant les grands traits de la première saison de la série norvégienne ainsi que ses personnages principaux. Cette adaptation est diffusée sur France.tv Slash, première chaine française du service public entièrement numérique qui fête sa naissance avec Skam France. Elle se consacre à la jeunesse, programmant séries et documentaires mettant en scène de jeunes adultes et diffusés sur une plateforme dédiée et Youtube et Instagram. France.tv Slash a notamment produit et diffusé Mental, une web-série drôle, intrigante et fascinante qui suit un petit groupe d’adolescents dans un service pédopsychiatrique en deux saisons et 20 épisodes. On peut citer également Stalk, qui raconte en deux saisons et 20 épisodes les aventures d’un étudiant, petit génie de l’informatique, qui, après s’être fait bizuter et humilier, lors de son entrée dans une grande école, va pirater (stalker en langage geek) tous les écrans de ses tourmenteurs (téléphone et ordinateur) et les manipuler, avant que sa machination ne se retourne contre lui.

Étant diffusée sur une chaîne numérique, Skam France va profiter de ses atouts, à la manière de la série norvégienne, qui avait déjà utilisé toutes les possibilités d’une télévision moderne. En effet, chaque épisode des deux séries est d’abord diffusé sur Youtube et Instagram tout le long de la semaine, par petites séquences de 3 ou 4 minutes, l’intégralité de l’épisode étant proposée le samedi sur la plateforme de la chaîne. Une façon de procéder qui a fidélisé très rapidement des millions d’adolescents. D’autre part, après avoir suivi assez fidèlement la trame de la série norvégienne durant les quatre saisons de son existence, Skam France a décidé de continuer l’aventure, en inventant de nouvelles thématiques et de nouveaux personnages pour des saisons inédites. Quatre nouvelles saisons ont ainsi vu le jour, traitant de sujets comme le handicap, la précarité, ou la séropositivité, avec toujours une écriture et des dialogues qui paraissent réalistes, authentiques, proches du réel.

Skam depuis a connu de nombreuses adaptations, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Hollande, en Belgique flamande et même aux États-Unis.

 

SEX EDUCATION

 

La Grande Bretagne n’a, pour le moment, pas proposé d’adaptation de la série norvégienne, peut être parce qu’elle est pionnière dans le domaine des teen-dramas adultes. Ce qui ne l’a pas empêchée, à partir de 2019, de proposer, diffusée par Netflix, la série Sex Education, qui en est à sa troisième saison, dont la quatrième est en tournage, et qui a conquis plus de 40 millions de foyers, paraît-il, à travers le monde.

Otis Milburn est un adolescent qui, comme la plupart des jeunes de son âge est préoccupé de sa sexualité. Il est vierge, n’arrive pas à se masturber et inquiète sa mère, sexologue thérapeute. Ignorant dans la pratique, mais compétent dans la théorie, il va, par un concours de circonstances, créer, avec l’adolescente rebelle de sa classe, un cabinet conseil en sexologie, dans le lycée de Moordale où il vient d’arriver.

S’ensuit une série drôle, tendre et souvent émouvante, servie par une bande de jeunes comédiens remarquables, accompagnés, dans le rôle de la mère sexologue, par Gillian Anderson (la Scully de X Files), qui s’en donne à cœur joie, en mère impudique insistant pour discuter de sa vie sexuelle avec son fils, au grand dam de celui-ci. Plus la série avance, plus les personnages secondaires prennent de l’importance, dont Éric, le meilleur ami d’Otis, un jeune gay d’origine nigériane, drôle et exubérant, qui a du mal à affirmer son homosexualité devant sa famille très religieuse.

Sex Education est une série qui observe et décrit toutes les sexualités avec une profonde empathie, sans tomber dans les clichés inhérents à ce genre de sujet, modèle d’un nouveau genre de fictions qui en font évoluer les représentations à la télévision.

 

EUPHORIA

 

Toujours en 2019, mais venant des États-Unis, est apparue sur HBO, Euphoria, une série écrite et réalisée (pour la plupart des épisodes) par Sam Levinson (le fils de Barry), dont le film Assassination nation, sorti l’année d’avant, dénonçait la toxicité des réseaux sociaux à travers la croisade féministe d’une bande d’adolescentes. Euphoria, dont on a pu voir déjà 8 épisodes d’une saison 1 plus deux épisodes spéciaux est apparemment un teen-drama qui suit les errances de Rue, 17 ans, la narratrice, qui, au début de la série, sort d’une cure de désintoxication à la drogue et rencontre Jules, une jeune trans, avec qui elle va entamer une relation d’amitié amoureuse. Autour d’elles gravitent d’autres adolescents et adolescentes, dont chaque épisode met en avant l’histoire particulière. À travers un scénario très travaillé, des sujets forts, des dialogues crus, une mise en scène inventive qui s’amuse de tous les genres, des scènes douces, violentes et bouleversantes et des personnages souvent excessifs mais extrêmement développés, la série propose une vision réaliste et sans clichés d’une jeunesse américaine désabusée, malade et encombrée d’un corps et d’une sexualité qu’elle n’arrive pas à maîtriser. Après une première saison, Sam Levinson a tourné, pendant le confinement, deux épisodes spéciaux qui, en se focalisant sur les personnages de Rue (Zendaya, qui depuis est apparue dans Dune)) et Jules ( Hunter Schafer), montrent la qualité de jeu et la performance de ces deux jeunes actrices.

La saison 1 et les deux épisodes spéciaux de Euphoria sont disponibles sur OCS en France.