WINTER IS COMING, 5 par Jean-Yves Bochet

Les Incitations

15 mars
2022

WINTER IS COMING, 5 par Jean-Yves Bochet

  • Partager sur Facebook

OVNI SOIT QUI MAL Y PENSE

 

 

 

Alors qu’aux États-Unis, dès les années 30, fleurissaient sur les écrans de nombreux serials aux titres aussi attirants que « Superman », « Flash Gordon » ou « Captain Marvel », il faut attendre le début des années 70 pour que la télévision française s’intéresse à la science-fiction avec des séries comme « Le Voyageur des siècles » ou « Aux frontières du possible », la première, créée et interprétée par Noël Noël, traitant du voyage temporel, la deuxième, écrite en partie par le créateur de la futurologie et co-auteur de « Le Matin des magiciens » : Jacques Bergier étant un peu l’ancêtre français de X-Files, tandis qu’au même moment , sur la deuxième chaîne, juché sur son side-car, Léo Campion, détective de l’irrationnel, entraînait « La Brigade des maléfices » dans des enquêtes fantastiques écrites par Claude-Jean Philippe, producteur et présentateur du Ciné-Club. Pendant ce temps-là, aux États-Unis, Rod Serling écrivait et présentait la cinquième saison de « The Twilight zone » (La quatrième dimension) et les américains apprenaient le klingon avec « Star Trek », pour ne citer que ces deux séries emblématiques, tandis qu’en Angleterre, Patrick McGoohan n’était définitivement plus un numéro dans « Le Prisonnier » , alors que Patrick Macnee ne flirtait plus avec Diana Rigg dans « The Avengers » (Chapeau melon et bottes de cuir).

Et David Vincent qui, depuis qu’il les avaient vus un soir et que, fatigué, il s’était trompé de route en rentrant chez lui, essayait de prévenir le monde que « The Invaders » (Les Envahisseurs) étaient parmi nous et qu’ils voulaient conquérir la Terre, avait arrêté sa quête depuis déjà quelques années.

En France, début 81, une mini-série de quatre épisodes : « Noires sont les galaxies », très influencée par « L’Invasion des profanateurs de sépultures » le film de Don Siegel, fit une bonne impression à ceux qui ont pu la voir, par son atmosphère noire et désespérée, peu présente habituellement dans les productions télévisuelles de l’époque. Si l’on ne tient pas compte de quelques dessins animés, on peut compter sur les doigts d’une main les quelques rares séries françaises de science-fiction qui furent programmées sur le petit écran, depuis les années 80. On peut citer par exemple « Trepalium », « Métempsychose » ou encore « Ad Vitam », une liste non exhaustive mais pas très loin de l’être.

Aux États-Unis, depuis quarante ans, sont apparues sur les écrans une telle quantité de séries de science-fiction qu’il serait fastidieux de toutes les citer. D’autant plus que, depuis quelques années, la société Marvel, a décidé de faire adapter en films et en séries tous ses comics, inondant les écrans des aventures survitaminées de leurs super-héros . La plupart de ces productions sont soit scénaristiquement d’un simplisme affligeant, soit parsemées d’épisodes stroboscopiques censés exprimer des actions palpitantes et ne montrant qu’un maelström d’images incompréhensibles. Quelques rares séries ont pu, malgré tout , sortir du lot et montrer de grandes qualités, comme « Daredevil » qui traite, surtout dans la première saison, avec beaucoup d’élégance tragique le personnage de cet avocat aveugle, guerrier redoutable en lutte contre le mal et « Jennifer Jones », racontant les aventures d’une détective privée cynique et désespérée, dotée de super pouvoirs et enquêtant presque malgré elle dans un New York à la noirceur étouffante. Deux séries vite annulées.

Si, dans l’énorme production américaine de science-fiction des 30 dernières années, il fallait choisir quelques séries particulièrement remarquables voire inoubliables, alors, tout d’abord, par ordre d’apparition sur le petit écran, on citerait « The X Files » (Aux frontières du réel) bien sûr, pour le couple Mulder et Scully, pour la musique du générique, pour « la vérité est ailleurs », pour la grandeur du complot politico-extraterrestre et pour l’étrangeté fascinante de tous les personnages qui évoluent le long des 11 saisons de cette création de Chris Carter.

Très grande série de « space opera », autrement dit située dans l’espace et montrant très régulièrement des combats entre vaisseaux spatiaux, « Battlestar Galactica » est une co-production anglo-canado-américaine créée par Ronald Moore, qui, à l’instar de « Cosmos 1999 » qui enchanta de nombreux samedis après-midi la télévision française des années 70, suit durant quatre saisons et quelques téléfilms, la quête désespérée d’hommes et de femmes, seuls terriens survivants après la destruction de la planète par une horde de robots dirigés par des extraterrestres, pour trouver une nouvelle terre habitable. Combats spatiaux, jamais ridicules car la production s’est donné les moyens, et luttes de pouvoir rythment les 74 épisodes et l’on s’attache à l’évolution de nombreux personnages remarquablement écrits.

Enfin on peut citer « The Expanse », autre série de « space opera », 6 saisons et 62 épisodes adaptés des romans de James S.A. Corey (pseudonymes de Daniel Abraham et Ty Frank), saga littéraire qui a obtenu le prix Hugo, récompense suprême dans la littérature de science-fiction. « The Expanse » est une série politique intelligente et passionnante qui montre la Terre, dans trois siècles, au centre d’un système solaire où les conflits larvés avec Mars, risquent de mener à une guerre interplanétaire, tandis qu’une banale disparition dissimule peut-être un immense complot capable de détruire l’humanité tout entière. Quelques hommes et femmes, à tous les niveaux de pouvoirs, vont alors se démener pour éviter la catastrophe.

On pourrait citer d’autres séries comme « Lost » ou « Stranger things », mais ces trois là me paraissent essentielles.

En Angleterre, il y a une production qui se détache du lot. Créée par un ancien journaliste : Charlie Brooker, « Black Mirror » est une série anthologique de 22 épisodes qui imagine notre avenir immédiat, sous l’emprise d’une technologie dystopique. Une vision drôle, méchante et terriblement angoissante d’un futur crédible et trop proche.

 

Et en France ?

Pas grand-chose. Il y a bien eu quelques tentatives intéressantes, mais essentiellement dans le genre fantastique comme « Les Revenants », deux saisons qui montraient les morts, ressuscités, tentant de se réinsérer dans la société vivante d’une petite ville française. Suivirent quelques autres productions moins remarquables. Jusqu’en Janvier 2021, quand débute sur Canal +, la première saison d’« Ovni(s) ».

C’est une série créée par Clémence Dargent et Martin Douaire et filmée par Antony Cordier, réalisateur de trois longs métrages dont l’excellent « Gaspard va au mariage ».

Didier Mathure (Melvil Poupaud), ingénieur aérospatial du CNES, à la fin des années 70, voit la fusée dont il est responsable, exploser en plein vol. Il est alors muté comme directeur de l’obscur GEPAN (Groupe d’Études sur les Phénomènes Aérospatiaux Non identifiés), autrement dit une officine plus ou moins rattachée au CNES, constituée d’un enquêteur (Michel Vuillermoz), d’un informaticien ( Quentin Dolmaire) et d’une standardiste experte en psychologie (Daphné Patakia), travaillant, à partir de témoignages, sur la possible existence des OVNIs. Mathure est un scientifique qui ne croit pas, a priori, aux soucoupes volantes, donc toute la dynamique des douze épisodes de la première saison d’« Ovni(s)  »  va consister à faire se confronter science et fiction, rationnel et croyance en l’irrationnel. Les aventuriers du GEPAN sillonnent la France, questionnant les témoins et analysant les hypothétiques traces extraterrestres, quarteron de doux dingues aux exploits joliment rythmés par les synthés de Thylacine et à l’atmosphère de fin de règne giscardien magnifiquement rendue par la caméra inventive d’Antony Cordier. L’ex femme de Mathure (Géraldine Pailhas) se rapproche de la direction du CNES et le commandant Delbrosse (Nicole Garcia), patronne d’un mystérieux service secret s’intéresse de très près aux agissements du GEPAN, tandis que son directeur commence à douter de ses certitudes.

La fin de la première saison laisse le spectateur dans un état gentiment extatique, mais aussi un peu frustré, car la série demeure toujours en deçà des frontières de l’absurde, restant une très belle introduction à un univers que l’on aimerait bien pénétrer plus avant.

Mais le 21 Février 2022, Canal+ commence à diffuser la saison 2.

Et « Ovni(s) » casse la baraque. La série jusqu’alors, dans la première saison, semblait plutôt matérialiste, traitant, certes avec beaucoup d’humour et d’intelligence, la possibilité de visiteurs extraterrestres dans la France giscardienne, mais restait à l’entrée d’un univers surréaliste qu’elle n’osait pas pénétrer.

À la fin de la saison précédente, Didier Mathure est persuadé d’avoir vu quelque chose de non identifié et de parfaitement extraterrestre, aussi part-il sur les routes de France, dans un minibus rebaptisé Ovnibus, en compagnie de Vera, la standardiste du GEPAN pour recueillir des témoignages sur les OVNIs. Au même moment, l’apparition dans une centrale nucléaire d’une barbe à papa géante devient la matrice d’un scénario marabout de ficelle où cadavres exquis et enchaînements absurdes mais parfaitement cohérents sont légions.

Et c’est à ce moment là que « Ovni(s) » devient une très grande série. Car ces juxtapositions d’évènements ou d’idées a priori aberrants sont traités par les scénaristes avec une grande rigueur et analysés par les personnages avec un sérieux très communicatif. Il apparaît donc tout à fait normal, pour le spectateur, que dans un épisode on relie un fragment de la barbe à papa avec la moitié d’un peigne d’origine inconnue sinon esquimau et le 45 tours d’un chanteur de variétés à la mode pour communiquer avec les extraterrestres. Parce que les personnages y croient dur comme fer et que l’explication de tout cela est aussi absurde que convaincante. Et des idées comme celle là, il y en a plein chaque épisode, c’est fou et c’est drôle, chaque élément surréaliste étant à sa place et s’intégrant parfaitement dans le scénario.

Et l’on cavale, spectateur enthousiaste, derrière le GEPAN reconstitué, en passe de sauver le monde, admirant bien sûr le jeu des comédiens qui sont tous impeccables mais aussi les décors, la musique et tous les petits détails qui font de cette série l’une des plus brillantes de ces dernières années. La fin du douzième et dernier épisode est un cliffhanger drôle et stupéfiant, ce qui laisse espérer peut-être une troisième saison.

La première saison d’« Ovnis(s) » est en dvd et blu ray, la deuxième est actuellement en diffusion sur Canal +