WINTER IS COMING, 3 par Jean-Yves Bochet
TRUMP ET « LE BON COMBAT »
Les grandes séries politiques ne sont pas légion.
En France, « Baron Noir » a montré, le long de trois saisons, que Kad Merad pouvait être un excellent acteur, et que la scénarisation de manœuvres politiques pouvait devenir, à l’écran, tout à fait passionnante, bien qu’ayant paraît-il éloigné des urnes de nombreux téléspectateurs.
Depuis quelques années l’Italie s’intéresse, entre deux séries policières, à son histoire politico-économique. Après « Romanzo criminale » , adaptation du magnifique roman du juge et écrivain Giancarlo de Cataldo, qui analysait les rapports étroits existant entre criminalité et politique dans les années 70, « Suburra » montrait la lutte de plusieurs personnages pour l’acquisition de terrains en vue de construire un port à Ostie, banlieue de Rome. Le Vatican, la Mafia, quelques politiciens et de jeunes malfrats gitans vont alors s’affronter, au moment où le maire de Subure (Rome) décide de démissionner. Il y eut trois saisons de cette grande série toujours adaptée d’un roman de Giancarlo de Cataldo, écrit cette fois ci avec l’aide d’un journaliste : Carlo Bonini. Enfin, il faut évoquer la trilogie « 1992-1993-1994 », qui fait évoluer plusieurs personnages dans les méandres corrompus de la politique italienne entre l’opération Mains Propres (mani pulite) menée par le juge Di Pietro, qui fit exploser la Démocratie Chrétienne, et l’ascension de Silvio Berlusconi, qui profitera de la situation pour accéder au pouvoir. Cette série, aussi passionnante que dérangeante, fut créée à partir d’une idée de l’acteur Stefano Accorsi, qui tient l’un des rôles principaux. Elle comporte une trentaine d’épisodes répartis sur trois saisons.
Les Britanniques , dès 1990, sous la houlette d’Andrew Davies, devenu depuis l’un des grands pourvoyeurs de séries outre Manche, proposent une satire assez réjouissante de leur système politique avec « House of cards »,un jeu de massacre qui s ‘étire sur douze épisodes, racontant l’ascension d’un parlementaire vers le pouvoir, prêt à absolument tout pour l’obtenir.. Ian Richardson qui tient le rôle principal est exceptionnel et Kevin Spacey, détenteur du même rôle dans l’adaptation américaine, l’a manifestement beaucoup observé.
En Europe,on peut citer également la série danoise « Borgen », qui, tout au long de 30 épisodes, analyse et critique la démocratie de son pays, par le biais de l’accession d’une femme au pouvoir.
Aux États-Unis, il faut attendre 1999 pour voir arriver sur les écrans ce qui est sans doute la plus grande série politique de tous les temps : « The West Wing »(À la Maison Blanche), qui raconte le quotidien de Jed Bartlet, démocrate et POTUS (acronyme de President of the United States), durant ses deux mandats, et de ses collaborateurs et conseillers les plus proches, qui travaillent dans l’aile Ouest de la Maison Blanche (d’où le nom de la série). Elle fut créée et écrite (en grande partie) par Aaron Sorkin, qui, au départ a voulu utiliser toutes les idées qu’il n’avait pas pu caser dans le film de Rob Reiner qu’il avait écrit quelques années auparavant : le Président et Miss Wade. Il s’est adjoint les services d’une ancienne porte-parole de la Maison Blanche pour l’écriture de nombreux épisodes, ce qui donne un aspect particulièrement réaliste à la série. C’est Martin Sheen, le héros d’Apocalypse now, qui interprète Jed Bartlet durant sept saisons et 155 épisodes. Dans la dernière saison, ce président démocrate termine ses deux mandats et c’est un candidat latino-américain, Matt Santos qui est alors élu, deux ans avant, dans la réalité, l’élection de Barack Obama. Pour en finir avec l’aspect visionnaire de la série, on peut ajouter que avant de choisir Martin Sheen pour interpréter le président, la production avait pensé proposer le rôle à Sydney Poitier, acteur légendaire et afro-américain. « À la Maison Blanche « traite de nombreux sujets, politiques et sociétaux, que ce soit le racisme ou le conflit israelo-palestinien, ou bien la conquête spatiale, l’immigration et même l’assassinat politique, sur un ton foncièrement optimiste, des problèmes que tentent de résoudre des gens passionnés et confiants en la démocratie : les conseillers du président. Tout cela est entrecoupé de moments de campagne et d’élection tendus et passionnants tandis que les problèmes personnels du POTUS se glissent parfois entre deux deux crises politiques mondiales.
Après « The West Wing », d’autres séries ont tenté de pérenniser sur les chaînes américaines la fiction politique, comme « Veep », « Commander in chief » ou bien encore « Designated survivor », mais il faut attendre 2017 pour voir apparaître sur CBS une autre grande série politique : « The Good Fight ».
Cette série est un spin off d’une autre série « The Good wife », produite et scénarisée par Robert et Michelle King. « The Good wife » eut sept saisons entre 2009 et 2016, diffusée elle aussi sur la chaine CBS. Elle raconte l’histoire d’une femme (interprétée par Julianna Margulies, devenue célèbre avec son rôle d’infirmière dans « Urgences »), qui, quand son mari, procureur à Chicago, est accusé de corruption, doit trouver du travail et se fait embaucher comme avocate dans un cabinet important de la ville. C’est une excellente série judiciaire, qui, déjà, dans certains épisodes, traite également de la politique américaine.
« The Good Fight », écrite et produite elle aussi par les King, commence peu de temps après la fin de « The Good wife ». Diane Lockhart (Christine Baranski, géniale), l’une des principales associées WASP du cabinet, apprend qu’elle est ruinée, car elle a confié une grande partie de ses économies au père d’une des jeunes avocates, qui se révèle être un escroc genre Madoff. Et cela le jour de l’élection de Trump. Diane Lockhart quitte alors le cabinet où elle était associée, emmenant avec elle la fille de l’escroc et elles se font recruter par un cabinet moins important de Chicago, mais qui a la particularité d’être dirigé par des afro-américains, et sans doute à cause de cela, de se spécialiser dans les affaires de brutalité policière.
En dehors du fait que cette série est remarquablement écrite, développant le long de ces cinq saisons existant pour le moment, des intrigues politico-judiciaires complexes et passionnantes, que les acteurs, Christine Barinski en tête, sont tous absolument remarquables et que les dialogues sont souvent drôles, incisifs et méchants, il faut également signaler la qualité de la mise en scène.
Les cinq saisons de la série se déroulant tout le long du mandat de Trump, la cinquième évoquant les débuts de Biden, presque tous les épisodes montrent, commentent, analysent et critiquent férocement les agissements de Trump, souvent d’une manière réaliste, parfois sur un ton parfaitement délirant. Trump est un fantôme qui hante en permanence les locaux du cabinet et les pensées des avocats. Comme le cabinet est composé essentiellement d’afro-américains, on suit régulièrement l’évolution du mouvement Black Lives Matter, et Diane qui devient dès la deuxième saison associée, aura à se défendre dans la quatrième saison contre la majorité noire, hostile à sa position d’associée principale. Très souvent, elle éclate d’un grand rire en réaction à un monde de plus en plus absurde. À partir de la deuxième saison, il y a, dans de nombreux épisodes, de petits interludes, vidéo clips animés d’une minute, sortes de tutoriels qui tentent d’expliquer des points précis de la justice et du fonctionnement de la démocratie américaine, traités dans l’épisode.
Je n’ai plus le temps ni la place de m’étendre sur les richesses de cette série, mais quand même, encore un instant pour évoquer avec quel talent les scénaristes ont contourné les effets de la pandémie. En effet, à cause du COVID, la saison 4 ne comporte que 7 épisodes au lieu des 10 habituels. Alors le premier épisode de la saison 5 est un résumé (previously) de ce que l’on n'a pas pu voir, montrant notamment la défaite de Trump aux élections. Pour finir je voudrai évoquer la thématique principale de la cinquième saison, qui met en scène un nouveau personnage interprété par Mandy Patinkin (que l’on a pu voir entre autres dans « Homeland ») qui s’auto proclame juge et dirige un tribunal dans l’arrière-fond d’un magasin de photocopies, pratiquant une justice assez peu conventionnelle. Si l’on ajoute que l’attaque du Capitole occupe une part importante des épisodes de la saison, on comprend que les scénaristes s’interrogent sur la place de la justice dans leur pays, une justice abimée par la politique, mais que l’on ne peut pas non plus laisser entre les mains du peuple. « The Good Fight » est une très grande série, dont la saison 6 est déjà en production