Au bord de Sereine Berlottier par Vianney Lacombe
Sereine Berlottier ne nous prend pas par les sentiments, elle nous montre la mort entièrement vide dans laquelle est précipitée sa mère, elle montre la réalité de ces moments d’horreur qui surgissent tous les jours dans un hôpital, horreur calme et pacifiée, puisqu’elle est encadrée de tous les soins qui peuvent soulager les malades. Mais Sereine Berlottier ne peut que constater combien la vie est difficile pour les proches, lorsque tous les objets que le mort a laissés déchirent par leur présence ceux qui sont restés.
En fait les morts ne savent pas combien ceux qui restent sont endeuillés. Et c’est ce que nous disent ces poèmes, lorsque dans un café le serveur/fait des blagues tu ne comprends rien (p.61), une sorte de surdité enveloppe Sereine Berlottier, une désolation devant l’excès d’impuissance de cette puissance (p.66) – s’il reste les os /plus quelque chose d’autre à redessiner/un nom gravé/ou quelque chose d’autre encore (p.66) - sur la tombe que/ le galet peint par l’enfant/ a tachée de ciel faux/ puis-je m’asseoir et souffrir un peu/ si les plantes n’ont pas tenu ?(p.69). Et cette tristesse qui la saisit lorsque la mort du mort est profanée en arrachant l’un des rosiers de sa tombe ? Sereine nous peine sans le vouloir et sans ostentation en décrivant les chemins qu’elle emprunte pour ne pas oublier de se souvenir, malgré la vitesse à laquelle tout ça nous quitte (p.72) et ce qui borde le vide/ à la limite du trait/ pour tout reprendre à zéro (p.73).
La forme des poèmes et leur espace dans la page nous introduisent à la réalité de cette approche de la mort dans le lieu clos de l’hôpital, à cette oppression et cette résistance de tous les instants, à tout ce qu’il est encore possible d’acquérir au dernier moment, tout en sachant que la capitulation est proche, la lutte sans espoir.
le bruit
de l’oxygène
dans la gorge
tu n’abandonnes pas
tu dis
ce qu’il y a
c’est qu’il faut
y passer (p.59)
Sereine décrit ce que nous deviendrons entre les mains des médecins, une chose inaudible, et elle diminue la grosseur du corps des lettres dans ses poèmes pour nous montrer la surdité à laquelle est confronté le mourant que personne ne consulte plus : avec ces gens/ cachés dans des blouses/qui veulent encore/toucher ton corps/pour faire quoi/ (tu demandes mais/ils n’entendent pas ) (p.46).
Sereine Berlottier se sert de la page blanche pour nous montrer la mort, en la suspendant entre les lignes ou en la laissant béer à la fin du poème, et c’est ainsi que ce livre peut développer toute sa force intérieure qui n’est pas celle du récit de la fin d’une mère, mais la mise en espace de toutes les destructions provoquées par cette fin, des sortes de poèmes- reliquaires dans lesquels sont amoureusement rassemblés les souvenirs, les objets de souvenirs et l’enfance de toujours, celle que chaque mère porte en elle.