L'audace de Pascale Petit par Vianney Lacombe
Pascale Petit n’utilise pas seulement les ressources de la typographie et de la mise en page pour mettre en valeur ses poèmes, elle crée des impasses et des vides dans le cours du texte pour suppléer à ceux que le langage ne suggère pas toujours, et elle importe dans la langue des substances illicites qui la contaminent et la détournent du droit chemin tracé par la logique pour créer des impasses, des courts-circuits qui font rebondir ou dérailler le sens sur d’autres voies qui mènent dans le nulle-part qui n’est pas rien, qui est la faille et la sortie de secours de tout discours convenu qu’il faut avoir l’audace de cultiver jusqu’à l’absurdité.
Les yeux permettent des rapprochement surprenants (p.16) est un poème narratif et éducatif dans lequel l’auteure se réveille au milieu de la nuit avec des yeux qui permettent de voir des détails proches et lointains, mais surtout les coutures de notre unité, ainsi que des animaux qui volent, et un lévrier qui fait ou ferait penser à l’éternité. Nous sommes pris dans un cérémonial dans lequel la lenteur et l’érotisme sont au centre d’un accord avec les manières les plus douces de Rimbaud et l’industrieuse curiosité de la narratrice, qui vit au centre de l’arrivée des choses au monde et de la survenance de l’érable du Japon dans la conversation.
Les titres de Pascale Petit sont directement inspirés par le texte du poème, mais parfois le titre n’est que le titre, sans aucun rapport avec le texte, puisqu’il est double, à la fois texte et titre du poème laissé dans un isolement forcé à l’intérieur de la page, qui ainsi ne dit pas seulement : « Aime-moi trop pour vouloir me changer. », mais aussi : Aime-moi trop pour vouloir me changer. (p.84)
L’espace visuel de la page est un autre moyen utilisé dans L’audace pour rendre le texte lisible, non dans son contenu, mais dans ses écarts, ses répétitions, ses embranchements, et de renforcer par cet environnement ce qui est du ressort même de l’écriture, de sa vitesse de pointe et des lacunes qu’elle entretient pour nous égarer et nous obliger à la suivre sur des ponts de fil jetés sur un vide où le danger encouru renforce notre plaisir d’avancer sous la fausse protection du langage de l’auteure.
Si on voit des papillons blancs on pense à des coccinelles (p.47) Ce texte est un condensé d’humour métaphysique, ou comment dire des choses importantes en s’amusant : petit traité philosophique, dans lequel est interrogée la responsabilité du soleil sur notre destinée et l’imprévisibilité de la rotondité de la terre. Mais tout cela est dit en plaisantant, avec des papillons et des coccinelles et d’improbables voyages au Mexique qui sont là pour faire des blagues et nous faire prendre conscience de notre isolement au sein de l’univers et de la courbe de la terre qui devient pointue lorsque nous mettons les pieds dessus.
De nombreux poèmes de L’audace commencent par « Regarde », mais ce Regarde ne s’adresse pas à nous mais à l’autre partie de Pascale Petit qui la regarde agir en déplaçant ses pensées à l’intérieur d’un réel retouché par l’écriture, où il est plus facile d’atteindre les points saillants que la langue révèle, alors que dans notre vie éveillée, celle qui ne sert pas à écrire, aucun sommeil n’arrive à nous surprendre.
Pascale Petit fait résolument confiance à l’écriture, elle la laisse se débarrasser de tout ce qui l’encombre, elle se fait la servante de ses désirs et s’aventure avec elle dans les ouvertures que procure le langage. Ces poèmes sont maîtrisés, ce qui veut dire que l’auteure les a suivis aussi loin qu’ils le voulaient, avec leurs blancs, leurs vides et leurs irraisonnements. Mais ce qu’elle met en place en les écrivant, c’est justement cette dimension insoupçonnée de toute écriture originale qui se soumet à ce qui n’est pas encore dit et laisse l’incontrôlable se réaliser dans une forme maîtrisée.
« Tutoie-moi
Ne cherche pas un point de vue exceptionnel. Le principe de frontalité donne tous les pouvoirs.
Tutoie-moi puis ferme les yeux et contente-toi de ça qui s’accorde à la réalité de la rencontre.
Admettons que ce soit une partie du monde que tu connais bien qui ignore le reste du monde et où réside ton privilège mais que tu ne dois pas transformer en endroit pittoresque. Je n’entends pas prouver où se trouve le jardin d’Eden. Je n’entends rien prouver.
Et ne regarde pas trop loin : nous n’irons jamais ensemble. »