guerre et paix sans je de Sabine Macher par Vianney Lacombe
Sabine Macher réunit dans guerre et paix sans je des éléments notés dans plusieurs cahiers à différentes époques de sa vie pour les trier, les orienter, les amener à composer une autobiographie extérieure dans laquelle le pronom Je est éliminé pour laisser les événements, les souvenirs cuisants, la vie courante actuelle et passée se mélanger dans un seul courant qui est le was ist et le was war, autrement dit le présent et le passé. L’absence de Je permet d’être une narratrice qui en dit beaucoup plus que l’auteur, qui ne cherche pas à se consoler ou à se réjouir, elle est celle que nous rencontrons, si proche de notre enfance que nous la croyons nôtre, avec des frères, des sœurs et des pères et des mères qui ne reviendront jamais de là où ils sont partis, mais que l’écriture revit à cet endroit, à ce moment, avec ce corps enfant qui n’a plus d’existence mais qui vit le présent passé enfoui depuis des décennies et rené. L’effacement du Je permet de ne pas le mettre en scène, et d’écouter l’écriture et ses incidents qui surgissent et prennent la forme d’un grutier qui monte et qui descend à heures fixes de sa grue pour permettre de l’inscrire dans le présent momentané de l’écriture qui se mêle au souvenir poussiéreux des vêtements remués dans la maison désertée de l’enfance. Tarkos, Tarkos se montre également dans le présent de l’écriture, où il est déjà mort et n’apparaîtra plus jamais, même en épelant, en écrivant son nom avec toutes les énonciations possibles.
Avec l’écriture de guerre et paix sans je, Sabine Macher nous approche de la distance qui la sépare de la mort de ses parents, si proche de celle que nous entretenons avec la mort redoutable des nôtres, et elle nous aide à descendre à l’intérieur de l’enfance avec l’assistance de son frère, jusqu’à cet endroit où le was sein wird de l’avenir n’est pas encore inscrit dans le monologue qui clôt le livre et met un terme à tous les sanglots qui déchiraient l’enfance châtiée avec la complicité injuste de la mère, alors que tout aille au diable des poubelles, et la narratrice referme définitivement ses cahiers : de toute façon, c’est fini les stylos.