La tête et les cornes, n°8 par Vianney Lacombe
Amélioration de Message chuchoté de Carla Demierre ouvre le n°8 de la revue La tête et les cornes avec la mise en espace du langage d’un magnétophone qui se sert de l’enregistré pour créer des interlocuteurs différents qui se heurtent dans la mécanique interne et défilent dans le rewind. Carla Demierre nous donne à lire comment les lettres de l’alphabet deviennent la forme de ces interlocuteurs qui s’entrechoquent et se défont au rythme de la typographie qui trace le paysage visible des accidents de lecture du magnétophone. Simona Menicocci dans La mer est pleine de poissons donne à sentir la profondeur d’un autre espace qui monte et qui descend à l’intérieur du langage : la mer est cette dimension, dans laquelle la langue est l’eau qui avale l’eau / maintenant l’eau est la langue qui dit la langue / tandis que en dehors de la mer bronzer / jouer / au beach volley/ jouer / est seulement une manière de tuer / le temps. Le détachement amusé de Christian Steinbacher dans Wozu, cette simplicité bien trop peu raffiné(e) nous est proche, mais elle nous mène un peu plus loin dans la déréliction de notre époque où seul le crochet tient maintenant. Le coup lifté de Drallangage porte à son comble cette fuite en avant de soi-même, cette jubilation éprouvée devant la perte de tout repère, Steinbacher nous la fait sentir en accumulant les éléments les plus disparates, sensations, sentiments imbriqués de manière à ce qu’il ne reste d’eux que la célérité qui les porte au sein de la perte générale.
Chanson d’octobre de Lindsay Turner évide le sens des mots en les précédant de C’était décidé ou Ce fut ou Ç’avait été décidé qui ne laissent aucune place au sentiment d’exister, comme si bonheur ou malheur, vie heureuse ou sinistre étaient condamnés avant d’être formulés dans son poème. Tout n’était pas seulement décidé, tout était décidé d’avance, même si ce n’est pas moi qui décidai, même si c’est moi qui avais été décidée, même si ce moi qui avait décidé n’avait aucune place dans la décision, passée, présente ou future.
Lidia Riviello divise en deux voix complémentaires son poème Somnologies, avec une voix intérieure qui commente et fait face à la voix haute qui énonce et décrit les contraintes qui nous sont imposées et d’où le sens est banni : sur l’utilisation et non le sens des rêves ils travaillent / incessamment.
La tête et les cornes propose dans chaque numéro de nouveaux arrivants dans un large domaine poétique européen, anglo-saxon, mais aussi nordique avec la Suède et la Norvège, extrême-oriental avec la Corée et le Japon. Ce qui n’empêche pas la revue de demander à certains auteurs, tels que Lindsay Turner, Mia You, Keith et Rosmarie Waldrop, Peter Waterhouse, une collaboration plus régulière. Ainsi La tête et les cornes est sensible à tout ce que nous dicte l’avenir des formes poétiques, qu’elles nous soient proches ou étrangères, mais toutes liées par un désir commun de définir notre proximité par le langage.
Citons également dans cette parution les contributions de Andrea de Alberti, Grégoire Sourice, Elee Gardiner, Ho, ainsi que le travail de traduction collective « Import/Export » des auteurs italiens organisé par le CIPM dans ce numéro.