30 avril
2007
Coups de pompes de Raymond Federman par Samuel Lequette
LITTORALEMENT A SE TORDRE
Coups de pompes ou les nouvelles aventures des alias FEDERMAN. Le livre : 44 textes courts, vifs et directs d'une durée moyenne de 1 à 8 pages désarticulés en 3 parties à peu près égales (et 36 conclusions !) : Autoportraits & Histoires ; Jeux & Listes ; Rêves & Délires. 44 coups « pour rien » dont le langage est le seul propos : univers-langage.
Trilingue franglais/frenglish/frangloche et lisible par « tous ceux qui refusent de grandir », cette collection de petits textes alterne avec énergie et humour méditations, aphorismes, schizo-poèmes, micro- et critifictions, auto-craductions, anagrammes, listes de choses aléatoires ou pas, dans une langue débridée, résolument dégagée du « bien écrire ».
Coups de pompes ou comment faire foirer la langue en 44 coups de pieds réels dans le cul imaginaire de la langue. Autant d'expériences pour « mieux échouer » et qui propulsent l'écriture par à-coups en une succession rythmée de départs, faux départs et re-départs - fuites, libertés, délais.
Une fois encore FEDERMAN multiplie les périls et les acrobaties linguistiques pour réinventer 44 fois chaque fois le ratage spectaculaire du processus de l'écriture. Phrases haletantes, cadences rompues - accidents, incidents, pannes. Jamais aucun lecteur n'aura éprouvé au plus près le moment toujours mobile de l'écriture, les hasards et les affolements du langage. Coups de pompes, mais aussi klaxons et coups de freins. SUR L'AUTOROUTE DU SUD AU MILIEU D'UN POEME la carrosserie se tord et la peinture craque.
Tout est jeu ahahah. L'espèce humaine, cette « molle merde mal chiée », et son langage, sont à la fois les objets et les protagonistes d'une perversion généralisée et polymorphe qui éloigne l'écriture de l'écrivain, l'écrivain de ses personnages et les personnages d'eux-mêmes.
L'oralité d'abord, ou ses effets critiques sur la création verbale. L'introduction de procédés oraux et parodiques désoriente « la belle phrase » : contradictions, erreurs, exclamations, interrogations, relances, scrupules.
Autre perversion : les jeux de mots. FEDERMAN ne cesse de réutiliser en les inversant phrases et formules toutes faites, dictons, proverbes. Choc des paradoxes, permutation des syllabes et des sonorités, dérapages : le signifiant se tord de rire devant le signifié.
Ultime perversion : soi ou l'introuvable moi volé à lui-même en un rituel massacrant de l'illusion biographique. Sur FEDERMAN l'homme, le lecteur apprend des tas de choses qui sont des tas de rien. Que toutes les histoires de notre raconteur professionnel sont des « histoires vraies [... ] vécues dans la réalité [et] dans le vrai monde », que dans le top 20 de ses lectures figure Thomas Beckett, qu'il a été un jour « disqualifié en tant que pisseur de haute altitude », qu'il existe au moins trois hypothèses concurrentes sur le nom de Moinous, que sa « typographie déréglée » traduit « a compulsive masturbator », qu'il aime les escargots et la crème caramel... Autant de vraies fausses-révélations, de souvenirs et d'anecdotes invérifiables, qui se superposant marquent l'échec d'un narrateur schizophone à se réunir - un se comptant parmi ses 10 orteils.
La (sur-)conscience du jeu de la vie et du langage - vivre c'est inventer, inventer c'est vivre - et de la part de répétition qu'il y a dans la création (autobioplagiat et plajeu), s'accompagne d'un épuisement de l'univers fictionnel, qui coïncide avec un retour sur soi. La parole devient sa propre cible, s'enroule sur elle-même : au bout de l'invention il y a soi et l'impossibilité de se dire autrement qu'en se montrant, c'est-à-dire en se dénonçant.
Qui es-tu FEDERMAN ? Réponse : qu'ils soient témoins hors du coup ou engagés dans l'aventure, les doubles (Moinous, Boris, Frenchy, Namredef... ) et les couples (Rousseau et sa femme, Jule et Juliette, Mimi et Didi... ) auxquels FEDERMAN fait vivre les histoires qu'il se raconte sont plusieurs noms pour une même voix et un même visage. Voix et visage d'enfant survivant : Federkid alias Moinous. Une voix dans une voix - écho de ses deux naissances.
La première : la « véritable ». La seconde, littéraire et attestée par les faits : le placard, le closet. Incarcération, immobilité, silence. Chut. Lieu mythique d'une réunion et d'une rédemption. Rebirth. Lieu où remonter à soi et accoucher de soi par soi : drôle de gestation.
Au bout de ces mécomptes, il n'y a personne. L'existence de celui qui parle est sa parole même - soi livré à l'à venir des mots. Seule vérité : les fictions que la voix invente dans le futur incertain et précaire du langage - entreprise héroïque et pathétique sous le signe d'un faux soleil.