22 nov.
2009
Le stade de Guy Lelong par Samuel Lequette
Il y a des livres qui semblent écrits pour les psy, d'autres pour les philosophes, Le Stade pourrait d'abord laisser penser à un roman fabriqué de toutes pièces pour le plaisir des narratologues et des linguistes.
Dispositif textuel et récit autoréflexif Le Stade raconte, ou plutôt désigne, la préparation d'un roman et d'une épreuve de tétrathlon. Son volume varie, évolue et s'accroît, progressivement, contextuellement, selon les effets de la linéarité et de la verticalité, les lignes et les bandes, qui, par travelling, structurent le livre et organisent sa lecture.
L'organisation compositionnelle du texte est formée de quatre grandes unités qui s'articulent suivant un enchaînement apparemment chronologique : L'établissement, L'entraînement, L'athlétisme et Le rétablissement. Quatre séquences correspondant aux quatre phases d'élaboration du roman : le concept, le scénario, l'écriture, l'édition. Et à quatre œuvres (et peut-être silencieusement une cinquième, celle de Roussel, cité in fine dans la Postface) érigées en genres : Perec, Projet de roman = le « projet de livre » ; Borges, La mort et la boussole = le « récit d'enquête » ; Faulkner, Le Bruit et la Fureur, le « récit textuel » enfin, Claude Ollier, Fuzzy Sets = le « récit spatialisé ». Le texte est présenté comme la déduction ou l'application de principes qui évoluent dans le temps selon un processus de morphing.
D'emblée Le Stade montre un absolu recul par rapport à lui-même, qui se manifeste notamment par la recherche d'une maîtrise de l'aléa : l'événement énigmatique de l'origine et celui de l'exposition lors de l'édition - les limites initiales et finales de l'œuvre. De sorte que le livre se tient à la fois en lui-même et à son seuil.
Dans la première partie, l'auteur se donne des autoconsignes et énonce clairement son projet :« L'histoire que je me propose [... ] de raconter ne se conçoit que par rapport à cette forme évolutive. En fait libéré de l'obligation de servir un contenu, ce roman enquête sur des formes encore inconnues de lui-même. Son désir de faire parallèlement percevoir sa propre organisation le conduit à prendre des contorsions parfois presque athlétiques. »
Imitant le métadiscours génétique, la postface écrite par Guy Lelong lui-même et imprimée en négatif (blanc sur noir) est un miroir noir que l'auteur tend au lecteur. Il y évoque les travaux « psycho-métriques » sur le vers de Benoît de Cornulier, les recherches de Jean Ricardou sur le Nouveau Roman, la réflexion de Nelson Goodman sur la référence, mais aussi les travaux in situ de Daniel Buren (qui a réalisé pour le livre une préface graphique) et les écrits de Gérard Grisey sur la « musique spectrale ». Ces références théoriques et artistiques agissent à la fois comme source d'inspiration, stimulateurs, et comme opérateurs de lecture qui, en même temps, orientent et égarent le lecteur. Ainsi les sciences du langage travaillent l'écriture en tant qu'explicitations des processus langagiers et fictionnels, mais aussi en tant que savoirs portés par un imaginaire puissant. L'abstraction de la linguistique, de la musique et des arts plastiques sont mis sur le même plan textuel que Jorge Luis Borges, Georges Perec, Alain Robbe-Grillet, William Faulkner et Claude Ollier.
Si Le Stade est soutenu par une armature théorique visible, cette structure, bien que montrée et démontrée, n'est jamais tout à fait démontrable. Irrésistiblement et jusqu'au bout se profile une perspective seconde commandée par « tout un réseau de fausses pistes ». En prescrivant une conscience liseuse, le texte contraint son lecteur, allant d'hypothèse en hypothèse, à porter attention au dédoublement des formes les plus visibles : symétries, coïncidences, répétitions, effets de miroirs, écrans.
Le métadiscours de l'auteur contribue, tout en dévoilant son fonctionnement, ou en feignant de le dévoiler, à dédoubler le roman lui-même. Par un procédé ingénieux, proprement renversant, le récit de l'épreuve de tétrathlon peut être lu comme un récit second, un récit abymé, précédant ou annonçant le déroulement d'une macro-histoire ou comme une mise en périphérie d'un micro-récit : il y a à la fois analogie - répétition, condensation, anticipation, déformation - et dynamique de production - directives et injonctions. Cet étrange processus de dédoublement et de contestation du récit - vertiges, ambiguïtés, paradoxes, incompréhensions, chutes - produit une œuvre à la fois très concertée et en perpétuel déséquilibre, parfaitement imprévisible, dans laquelle le lecteur et le narrateur (qui devient ensuite personnage) sont piégés par une même mécanique, un même dispositif, qui leur échappe. Celui-ci se manifeste par une série d'épreuves dont les ratages successifs, qui contribuent au comique du livre, entraînent replays, arrêts sur image et vérifications compulsives.
Le stade s'inscrit certes, à différents plans de sa composition, dans un corpus constitué par le roman structuraliste, le roman à contrainte (Georges Perec - la fiction est « toute déduite de principes d'écriture ») et le Nouveau Roman (Alain Robbe-Grillet et Claude Ollier relus par Ricardou), il se singularise cependant par son projet qui consiste à atteindre avec minimalisme et humour une forme d'autoréférentialité totale, au-delà de toute tautologie, et d'autant plus absolue qu'elle se refuse à toute forme d'intransitivité : « plus une fiction réfère à sa propre écriture, plus elle se rapporte de façon inattendue à diverses régions du réel ». Principe selon lequel plus un texte est « contraint », plus il contraint des impressions référentielles : des représentations mentales illimitées.
L'autotélie ne vise donc pas à fermer le roman sur lui-même, mais à activer le processus qui lui donne forme, à le « rétablir » linéairement selon l'apparente chronologie des quatre phases auto-désignées de sa formation, de son évolution et de sa transformation.
Le livre s'ouvre sur cette phrase de Valéry : « Mon but est non l'ouvrage, mais l'obtention de l'ouvrage par des moyens, et ces moyens assujettis à la condition de netteté, de clarté, d'élégance que l'on demande en général à l'ouvrage même et non à son élaboration. »
Dispositif textuel et récit autoréflexif Le Stade raconte, ou plutôt désigne, la préparation d'un roman et d'une épreuve de tétrathlon. Son volume varie, évolue et s'accroît, progressivement, contextuellement, selon les effets de la linéarité et de la verticalité, les lignes et les bandes, qui, par travelling, structurent le livre et organisent sa lecture.
L'organisation compositionnelle du texte est formée de quatre grandes unités qui s'articulent suivant un enchaînement apparemment chronologique : L'établissement, L'entraînement, L'athlétisme et Le rétablissement. Quatre séquences correspondant aux quatre phases d'élaboration du roman : le concept, le scénario, l'écriture, l'édition. Et à quatre œuvres (et peut-être silencieusement une cinquième, celle de Roussel, cité in fine dans la Postface) érigées en genres : Perec, Projet de roman = le « projet de livre » ; Borges, La mort et la boussole = le « récit d'enquête » ; Faulkner, Le Bruit et la Fureur, le « récit textuel » enfin, Claude Ollier, Fuzzy Sets = le « récit spatialisé ». Le texte est présenté comme la déduction ou l'application de principes qui évoluent dans le temps selon un processus de morphing.
D'emblée Le Stade montre un absolu recul par rapport à lui-même, qui se manifeste notamment par la recherche d'une maîtrise de l'aléa : l'événement énigmatique de l'origine et celui de l'exposition lors de l'édition - les limites initiales et finales de l'œuvre. De sorte que le livre se tient à la fois en lui-même et à son seuil.
Dans la première partie, l'auteur se donne des autoconsignes et énonce clairement son projet :« L'histoire que je me propose [... ] de raconter ne se conçoit que par rapport à cette forme évolutive. En fait libéré de l'obligation de servir un contenu, ce roman enquête sur des formes encore inconnues de lui-même. Son désir de faire parallèlement percevoir sa propre organisation le conduit à prendre des contorsions parfois presque athlétiques. »
Imitant le métadiscours génétique, la postface écrite par Guy Lelong lui-même et imprimée en négatif (blanc sur noir) est un miroir noir que l'auteur tend au lecteur. Il y évoque les travaux « psycho-métriques » sur le vers de Benoît de Cornulier, les recherches de Jean Ricardou sur le Nouveau Roman, la réflexion de Nelson Goodman sur la référence, mais aussi les travaux in situ de Daniel Buren (qui a réalisé pour le livre une préface graphique) et les écrits de Gérard Grisey sur la « musique spectrale ». Ces références théoriques et artistiques agissent à la fois comme source d'inspiration, stimulateurs, et comme opérateurs de lecture qui, en même temps, orientent et égarent le lecteur. Ainsi les sciences du langage travaillent l'écriture en tant qu'explicitations des processus langagiers et fictionnels, mais aussi en tant que savoirs portés par un imaginaire puissant. L'abstraction de la linguistique, de la musique et des arts plastiques sont mis sur le même plan textuel que Jorge Luis Borges, Georges Perec, Alain Robbe-Grillet, William Faulkner et Claude Ollier.
Si Le Stade est soutenu par une armature théorique visible, cette structure, bien que montrée et démontrée, n'est jamais tout à fait démontrable. Irrésistiblement et jusqu'au bout se profile une perspective seconde commandée par « tout un réseau de fausses pistes ». En prescrivant une conscience liseuse, le texte contraint son lecteur, allant d'hypothèse en hypothèse, à porter attention au dédoublement des formes les plus visibles : symétries, coïncidences, répétitions, effets de miroirs, écrans.
Le métadiscours de l'auteur contribue, tout en dévoilant son fonctionnement, ou en feignant de le dévoiler, à dédoubler le roman lui-même. Par un procédé ingénieux, proprement renversant, le récit de l'épreuve de tétrathlon peut être lu comme un récit second, un récit abymé, précédant ou annonçant le déroulement d'une macro-histoire ou comme une mise en périphérie d'un micro-récit : il y a à la fois analogie - répétition, condensation, anticipation, déformation - et dynamique de production - directives et injonctions. Cet étrange processus de dédoublement et de contestation du récit - vertiges, ambiguïtés, paradoxes, incompréhensions, chutes - produit une œuvre à la fois très concertée et en perpétuel déséquilibre, parfaitement imprévisible, dans laquelle le lecteur et le narrateur (qui devient ensuite personnage) sont piégés par une même mécanique, un même dispositif, qui leur échappe. Celui-ci se manifeste par une série d'épreuves dont les ratages successifs, qui contribuent au comique du livre, entraînent replays, arrêts sur image et vérifications compulsives.
Le stade s'inscrit certes, à différents plans de sa composition, dans un corpus constitué par le roman structuraliste, le roman à contrainte (Georges Perec - la fiction est « toute déduite de principes d'écriture ») et le Nouveau Roman (Alain Robbe-Grillet et Claude Ollier relus par Ricardou), il se singularise cependant par son projet qui consiste à atteindre avec minimalisme et humour une forme d'autoréférentialité totale, au-delà de toute tautologie, et d'autant plus absolue qu'elle se refuse à toute forme d'intransitivité : « plus une fiction réfère à sa propre écriture, plus elle se rapporte de façon inattendue à diverses régions du réel ». Principe selon lequel plus un texte est « contraint », plus il contraint des impressions référentielles : des représentations mentales illimitées.
L'autotélie ne vise donc pas à fermer le roman sur lui-même, mais à activer le processus qui lui donne forme, à le « rétablir » linéairement selon l'apparente chronologie des quatre phases auto-désignées de sa formation, de son évolution et de sa transformation.
Le livre s'ouvre sur cette phrase de Valéry : « Mon but est non l'ouvrage, mais l'obtention de l'ouvrage par des moyens, et ces moyens assujettis à la condition de netteté, de clarté, d'élégance que l'on demande en général à l'ouvrage même et non à son élaboration. »