Décorateur de l'agonie de Jean-Paul Klée par Jacques Demarcq
Qu’est-ce qu’un poète ? Jean-Paul Klée. Cela ne fait aucun doute, alors que pour beaucoup… Jean-Paul Klée, parce qu’à 70 piges, ce poète rajeunit, son écriture plus tonique et réjouissante que jamais.
Je l’ai croisé, trop peu, à Strasbourg, il y a dix ou quinze ans. Il ne sort guère de ce trou, le sien, d’où son manque de reconnaissance dans la « France de l’intérieur » comme certains disent là-bas. Ses origines, un père résistant assassiné au camp alsacien du Struthof (sur lequel il a écrit La Crucifixion alsacienne, 1970, et Retour au Struthof, 1994) et ses combats de pacifiste écolo (qui lui ont valu, distinction rare, d’être radié de l’Éduc nat en 1991) expliquent peut-être sa posture d’exilé en son pays, celui des obéissants malgré-nous. Il y est néanmoins salué par des personnages à part, comme le poète Claude Vigée.
Jean-Paul Klée écrit cinq cents poèmes par an. Ce ne serait que graphomanie s’il n’avait : 1°, un esprit curieux de tout, détaché de soi, bondissant d’humour ; 2°, un art du zigzag et du rebond qui fait se rattraper le vers à ses déséquilibres ; 3°, une conception du poème comme sac à malice dans lequel secouer le bric-à-brac du monde. Résultat : les poèmes de Jean-Paul Klée sont aussi débordant de vitalité que leur sujet peut être inquiétant, la mort souvent présente au détour de re?exions sur l’actualité, rencontres de hasard, souvenirs, lectures diverses. Un simple exemple :
le cercueil
interlope loterie Un tel est mort
à 15 ans et demi sans avoir
une seule fois aimé ni peut-ê
tre joui C’était un garçon radi
eux mais les Dieux ont préféré
l’enlever à la niaiserie D’ICI & les
vaseux vers luisants l’ont pleuré
combien d’années, perdus qu’ils sont
dans l’affreuse gabegie !… « Ah disaient
-ils Sa blondeur n’est plus avecque nous &
qui peut savoir s’il a seulement connu
son propre corps une seule fois ?… »
L’accident de moto a pulvéri
sé l’être merveilleux
Qu’est-ce qu’un poème ? Bref ou long, cent mots ou trois mille mètres, c’est un parcours d’allure spontanée sur une piste consolidée de lectures, techniques, traditions lointaines ou récentes. Jean-Paul Klée, qui sait lire la vie comme ses mots, écrit avec un naturel baroque.