Diwãn des mots voyagés, Muriel Modr et collectif par Frédérique Guétat-Liviani
Diwãn des mots voyagés est un album, dans lequel sont consignés des mots mis à découvert. Mots exilés de leurs terres natales, ils habitent notre langue au quotidien, sans que nous ayons eu connaissance de la longue route qui les a menés jusqu’à nos bouches, nos oreilles.
L’ouvrage contient aussi un CD, on y entend les voix des femmes qui prononcent les noms. Elles retirent les peaux qui recouvrent le sens et dévoilent la racine. L’étymologie. Une carte détachable indique les multiples trajets des mots venus de Chine, d’Inde, du Moyen-Orient, d’Afrique…et leur libre circulation d’une langue à l’autre.
Depuis l’enfance, Muriel consulte les dictionnaires, les encyclopédies illustrées. Les planches de gravures la fascinent. Elle comprend rapidement que ces outils la protègeront de l’obscur. Elle deviendra artiste.
Les femmes qu’elle rencontre à Gardanne, souvent femmes d’anciens mineurs se rendent à l’association Contacts pour apprendre le français ou l’arabe, parfois les deux. Pour l’apprendre ou le perfectionner. L’une dit : « on veut savoir ». A Marseille, ce sont des femmes du quartier de la Busserine dans le XIV° arrondissement.
Leur désir de connaissance est semblable.
Durant trois années, Muriel les retrouvera, et c’est ensemble qu’elles feront œuvre de création. Il est utile, je pense, de préciser que derrière ce travail ne se cachent ni projet d’insertion ni bourse d’Etat.
L’album s’ouvre sur la photographie d’une petite fille au côté d’un vieillard.
La petite fille c’est la grand-mère de Muriel, elle pose au côté du trisaïeul, ce sont des grecs de Turquie réfugiés à Paris au début du XX° siècle.
Enquêtes, collecte de mots. On part du mot diwãn pour entamer la traversée sans savoir où elle nous mènera. Au fil des pages, les mots sont notés, dessinés, croqués, installés, photographiés, semés, reconstitués.
Les mots et leurs métamorphoses s’affichent sur les murs.
C’est une enquête, un voyage à l’envers, ça prendra le temps qu’il faudra.
Parfois elles iront sur le terrain. Pour entrevoir le mot matelas, elles prendront le car jusqu’à Carry, il y a là un beau matelas d’algues. Pour connaître le goût du mot artichaut il faudra en cueillir, c’est la saison. Les femmes et les mots se mettent en chemin, et nous, nous les suivons.
L’une d’elles dit : « Je ne savais pas que les mots ça remontait aussi loin – 1080 XI° siècle – ça m’a fait plaisir. »
Quand les mots se claquemurent, qu’ils ne s’échangent plus, on peut s’attendre au pire.
L’alphabet éventré peut en crever.
Le travail mené par Muriel est beau et nécessaire.
On ferait mieux de ne pas l’oublier.