Parc industriel, roman prolétaire de Patrícia Galvão (Pagu) par Frédérique Guétat-Liviani
Parc industriel est un livre étrange.
Celle qui l’a écrit aussi.
Parc Industriel parait à Sao Paulo en 1933.
Signé Mara Lobo. C’était un des nombreux pseudonymes de Patricia Galvao.
Mais c’est sous le nom de Pagu qu’elle se fera connaître.
Dans cette édition française, en prologue, un poème de Liliane Giraudon.
Bien que ce poème n’apparaisse pas dans Les Pénétrables, Pagu est une Bien-Aimé(e) de Liliane Giraudon.
c’est d’ailleurs dans la revue Banana Split en 1985, que paraissent, pour la première fois traduits en français (par Inès Oseki-Dépré), des textes de Pagu.
Le livre se referme sur une postface scrupuleusement documentée du traducteur Antoine Chareyre.
Elle est toute jeune Pagu, lorsqu’elle écrit ce livre. 22 ans seulement.
Avant, elle a déjà fait pas mal de choses comme : fréquenter l’Avant-garde artistique, rejoindre le groupe Anthropophage, écrire des poèmes, participer à des concours de beauté, épouser Oswald de Andrade…
En 1931, elle adhère au Parti Communiste Brésilien. Son désir de Révolution ne peut se satisfaire de la fréquentation des salons bourgeois. La même année, elle est interpellée dans un meeting de soutien à Sacco et Vanzetti.
Emprisonnée, le Parti lui fait signer un document dans lequel elle le dédouane de ses agissements.
Et c’est pour regagner la confiance de ce Parti-là qu’elle décide d’écrire Parc industriel.
Elle veut écrire un texte de propagande pour prouver son engagement.
Mais là, elle se trompe terriblement !
Le Parti n’est pas dupe. Il trouve dans son livre le souci de la forme et de l’invention.
Dans son roman prolétaire, elle insère des slogans mais ces fragments de propagande qui apparaissent en titre de chapitres ou sous forme de poèmes-conversations, ont plus à voir avec les collages de Schwitters qu’avec des pratiques d’agit-prop.
Elle enchâsse dans son roman divers éléments empruntés au langage de la rue, de la presse, des meetings. Toutes sortes de langages non-littéraires, collectifs, anonymes, traités sans distinction.
Pagu ne méprise pas ses lecteurs, elle ne cherche pas à abêtir les masses, elle ne désire pas le pouvoir.
Alors c’est plus fort qu’elle, quand elle croit écrire un livre de propagande, elle écrit un roman dont la forme tout à fait neuve ne s’attache à aucun modèle préexistant.
Dès la première page, un document chiffré : c’est la statistique industrielle de Sao Paulo en 1930. Plus bas en quelques mots, Pagu fait valser la statistique.
Du début à la fin, on voit s’étirer la longue file des enfants naturels de la société.
Pagu tente de les nommer, avant que toute trace d’eux ne soit effacée.
Corina fait partie de cette longue file. Enceinte, elle perd son emploi. Le corps déformé par la grossesse, elle travaille au bordel et enrichit peu à peu son vocabulaire érotique .
Pagu parle des corps qui se sexualisent , des langues malicieuses , des seins délibérés.
La sexualité doit aussi être le lieu de la révolution et le corps des femmes cesser d’être un objet exploitable.
Est-ce que Marie-Madeleine a connu la faim quand elle était pute ?
Les phrases sont courtes, des éclairs sur la page, puis du blanc, de la grande lumière sur le corps des prolétaires.
Au lieu de longues descriptions, des listes.
Une table, une vieille nappe. Une cruche, des verres. Une cloche défectueuse. La direction.
Le texte est lacéré. Les phrases, le récit, entaillés. Comme les vies prédécoupées des êtres qui s’égarent dans le Parc industriel.
La seule chose qui intéresse Pagu c’est la matière absolument brute de la vie.
En cela elle ouvre la voie du roman prolétaire ou roman social brésilien.
Dont on attribuera la paternité à Jorge Amado.
Ainsi le nom de l’étrange Pagu restera longtemps effacé.