Doc(k)s « never dies » #1 par Jean-Pierre Bobillot

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18 janv.
2025

Doc(k)s « never dies » #1 par Jean-Pierre Bobillot

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Doc(k)s « never dies » #1

 

 

Fondée en 1976 (déjà jadis !), à Ven­ta­bren, par Julien Blaine (cré­ateur de 1984 à 1993 des rencontres internatio­nales de Cogolin, Allauch et Taras­con, puis du Centre Interna­tional de Poésie de Marseille [CIPM], et instiga­teur de l’ex­position Poésure et Peintrie [1993]), la désormais vénérable revue Doc(k)s — déjà re­prise en 1991 par Philippe Castellin + Jean Tor­regrosa = Akenaton, à Ajac­cio — vient donc d’être relancée, à Bastia et Paris, par le tandem Massut / de Casabian­ca, sous le signe d’une plurimédialité accrue et plus ouverte encore que ja­mais, — ce qui l’autorise, sans réserve, à reprendre en bannière la récurrente (de numéro en numéro) et désormais fameuse formule, signée Akenaton : « Ce chantier ayant été pour nous l’occasion de vérifier (encore) que les médias ne se remplacent pas mais s’ajoutent en se spécifiant. »

Ainsi en premier lieu, de la carte usb, relayant cd et dvd de naguère, et présentant une palette des plus diversifiée de 32 documents, audio ou vidéo, parmi lesquels* on retrouvera, avec émotion, les grand.e.s regretté.e.s Carla Bertola, en compagnie d’Alberto Vitac­chio, dans Santassassina (où il est question de la guerre et de ses innombrables victimes), spécimen très caractéristique de leur art consommé de la spatialisation de leurs propres voix démultipliées et superposées, et — on ne saurait rêver plus extrême contraste… — Michel Giroud el Coyote Gerwulf Dingo, armé de son redoutable moulin à café, pour une frénétique Poésie Totalement Totale (PTT) (suite de brèves proférations performancielles sur monosyllabes répétitifs jusqu’à plus souffle, entées de non moins brefs commentaires rappelant, s’il le fallait…, l’immense connaissance et intelligence de l’histoire des « avant-gardes » artistiques et poétiques, en mouvement et en actes, du XXe siècle et plus que cela, qui fut la sienne : qui, aujourd’hui, songerait à évoquer le bien oublié Pierre Mille et son savoureux pastiche de René Ghil**)…?

Sur le papier, de page en pages, se côtoient ou se bousculent, se juxtaposent et se superposent, voire s’interpénètrent, allégrement écrits et images, de bien plus d’une centaine d’auteurs et autrices, faisant ainsi autant de textes* ­— comme on parlait, naguère encore ou… déjà jadis, de « texte filmique » (il convient toujours de préciser cette quasi-évidence médiopoétique, tant l’hostilité à des pratiques libres de tout préjugé générique ou de « champs » demeure vivace, notamment ès certains hauts-lieux s’occupant, censément, de « poésie » : qui ne se souvient du réquisitoire de l’imprécateur Roubaud*** dénonçant la plébéienne meute des « vroum-vroum », ces « faux poètes »…!?) ; mais, rassurons-les… (?), les 120 pages de la rubrique « Doc(k)s textes »* offrent effectivement des… « textes », voire de « vrais poèmes » — au sens courant, et restrictif, de ces termes (soit : des séries d’énoncés linguistiques, en l’occurrence typographiés suivant divers principes de mise en pages et en lignes qui les éloignent, plus ou moins, de la prose) —, quoique, bien sûr, plus ou moins et plutôt plus que moins expressément « expérimentaux » : ce caractérisant rendu si ambigu, usité à des fins de légitimation chez les uns, de dénigrement chez d’autres…

S’y inaugure également une (médiopoétiquement) très-intéressante nouvelle rubrique « Doxtypo », traitant de la recherche et des innovations en matière de typo­graphie — avec le brillant article de Myriam Ponge, « Une ponctuation fantasmée (hantée par l’oral) : des signes imparfaits aux signes rêvés », aussitôt suivi — pour la rubrique « Doc(k)s théorie » — d’un article inédit, hélas posthume, de Ph. Castellin (dont on n’oubliera pas de sitôt l’exemplaire acuité théorique) : « De la croissante invisibilité des poésies numériques en ligne dans la zone française (1997-2013) »

Souhaitons bon vent, et point trop de vents contraires, à la poursuite de cette entreprise monumentalement et audacieusement anthologique !…

 

* On comprendra, à ces consistants sommaires, que la présente recension demeure très en-deçà de toute tentative, et même tentation, d’exhaustivité. Mais je m’en voudrais de ne pas mentionner ici la pièce de Pierre Guéry, Dans l’oreille (où il est également question d’une « guerre » : « la poésie » même s’efforçant par sa poussée d’expulser et de dissoudre « le merdier extérieur » qui a envahi « le cerveau », lequel a « fondu » sous la pression, et qui espère ainsi parvenir à recomposer sa propre matière — vision impressionnante du devenir-sujet ou quelque chose comme ça, dans un environnement sonore quelque peu anxiogène…)  

** Dans une chronique-charge parue au Chat Noir, le 10 mars 1887 : cf. Daniel Grojnowski / Bernard Sarrazin, L’esprit Fumiste et les rires Fin de Siècle, Corti 1990, p.288-290, et ma présentation du Vœu de Vivre et autres poèmes de Ghil, Pr. Univ. de Rennes 2004, p.41 & n.103.

*** Cf. la contre-attaque de Christian Prigent : « Vroum-vroum et flip-flap (réplique à Jacques Roubaud) » sur le site des éd. POL le 1/2/2010, reprise en « Post-scriptum » dans Compile, POL 2011, p.24-28 ; et la mienne, Les humeurs de M. Roubaud (& autres vrais poètes) le 23/2/2010, reprise dans le collectif Disputatio XXI, Samuel Lequette et al., Hapax, 2010.

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