29 janv.
2012
Je voudrais pas être un nécrivainfrançais par Jean-Pierre Bobillot
Dans le supplément « Livres » de Libération du jeudi 12 janvier 2012, je lis sous le titre
de rubrique « Story » (!) et la plume informée de Frédérique Roussel que « deux écrivains […] embarqués
dans le même voyage […] ont envie d’en publier le récit à leur retour. » Très nouveau, n’est-ce pas,
et intéressant ? Mais admettons. Un peu plus loin, j’apprends que « tous les deux, Danièle Sallenave
et Dominique Fernandez, s’étaient entendus en chemin pour sortir en librairie de concert » : là, ça
sent déjà sa petite opération marketing mais il y a mieux, bien sûr : sinon, je ne prendrais pas la peine…
Au paragraphe suivant, on apprend ébahi qu’ils étaient quatorze (14 !) dans ce « cortège affrété par CulturesFrance qui prit le Transsibérien aux frais de la princesse, principalement du gouvernement russe [je ne sache pas, soit dit en passant, que Mme Sallenave ait jamais trouvé quoi que ce fût à sauver chez M. Poutine et dans son régime… mais, on y va quand même, hein !], dans deux [2 !] wagons de première classe [hé !] accrochés en queue de train [parce qu’on va pas se mélanger, quand même…] » Et là, tenez-vous bien, mais vous l’avez déjà compris, les deux voitures en question étaient baptisées « Blaise Cendrars » — même si, en l’occurrence, le poète « bourlingueur » (et pas mal mythomane) n’a « jamais emprunté la fameuse ligne », comme le rappelle Nils C. Ahl dans « Le Monde des livres » du 27 janvier : mais lui, il en fit une œuvre…
Or ce n’est pas tout : non seulement ils ont publié, ces grandzécrivains — ces deux-ci, mais avant eux, comme le rappelle Thomas Stélandre dans Le Magazine littéraire de février, plusieurs parmi les autres caravaniers qui « ne comptaient pas parmi les plus médiocres de nos représentants » —, à l’enseigne de grandzéditeurs (naturellement !), chacun(e) son petit ragoût de bave de voyage organisé qui ne risque pas d’atteindre à l’éternité (ni seulement à l’immortalité, quoique « tous deux membres de l’Académie française »), mais du haut de leur glorieuse empyrée littéraire, les voilà qui jugent, tranchent, méprisent, font les dégoûtés, se la jouent bon prince et bonne princesse mais on ne nous la fait pas… Pour l’un, en effet, la magnifique Prose du Transsibérien de Cendrars est un « poème assez banal, voire médiocre », tandis que l’une estime que ce voyage s’effectue « sous le signe d’un poème que je n’aime pas beaucoup [on se demande vraiment pourquoi elle y va !...], et [attention : coup décisif !] qui a beaucoup vieilli ».
On connaît la chanson : les œuvres modernes, novatrices, bousculantes — telle, et comment ! celle de Cendrars (qui entre parenthèses, quand il voyageait, ce n’était pas en wagon spécial aux frais de la princesse…) —, seraient forcément condamnées à « vieillir » plus vite que les autres… ce qui n’est peut-être pas faux, en un sens, puisque les autres en question sont déjà vieilles au moment où elles apparaissent, et ont donc pris de l’avance — comme, justement, celles de Mme Sallenave et M. Fernandez, qui se croient sans doute des classiques parce qu’ils sont des académiques !
Au paragraphe suivant, on apprend ébahi qu’ils étaient quatorze (14 !) dans ce « cortège affrété par CulturesFrance qui prit le Transsibérien aux frais de la princesse, principalement du gouvernement russe [je ne sache pas, soit dit en passant, que Mme Sallenave ait jamais trouvé quoi que ce fût à sauver chez M. Poutine et dans son régime… mais, on y va quand même, hein !], dans deux [2 !] wagons de première classe [hé !] accrochés en queue de train [parce qu’on va pas se mélanger, quand même…] » Et là, tenez-vous bien, mais vous l’avez déjà compris, les deux voitures en question étaient baptisées « Blaise Cendrars » — même si, en l’occurrence, le poète « bourlingueur » (et pas mal mythomane) n’a « jamais emprunté la fameuse ligne », comme le rappelle Nils C. Ahl dans « Le Monde des livres » du 27 janvier : mais lui, il en fit une œuvre…
Or ce n’est pas tout : non seulement ils ont publié, ces grandzécrivains — ces deux-ci, mais avant eux, comme le rappelle Thomas Stélandre dans Le Magazine littéraire de février, plusieurs parmi les autres caravaniers qui « ne comptaient pas parmi les plus médiocres de nos représentants » —, à l’enseigne de grandzéditeurs (naturellement !), chacun(e) son petit ragoût de bave de voyage organisé qui ne risque pas d’atteindre à l’éternité (ni seulement à l’immortalité, quoique « tous deux membres de l’Académie française »), mais du haut de leur glorieuse empyrée littéraire, les voilà qui jugent, tranchent, méprisent, font les dégoûtés, se la jouent bon prince et bonne princesse mais on ne nous la fait pas… Pour l’un, en effet, la magnifique Prose du Transsibérien de Cendrars est un « poème assez banal, voire médiocre », tandis que l’une estime que ce voyage s’effectue « sous le signe d’un poème que je n’aime pas beaucoup [on se demande vraiment pourquoi elle y va !...], et [attention : coup décisif !] qui a beaucoup vieilli ».
On connaît la chanson : les œuvres modernes, novatrices, bousculantes — telle, et comment ! celle de Cendrars (qui entre parenthèses, quand il voyageait, ce n’était pas en wagon spécial aux frais de la princesse…) —, seraient forcément condamnées à « vieillir » plus vite que les autres… ce qui n’est peut-être pas faux, en un sens, puisque les autres en question sont déjà vieilles au moment où elles apparaissent, et ont donc pris de l’avance — comme, justement, celles de Mme Sallenave et M. Fernandez, qui se croient sans doute des classiques parce qu’ils sont des académiques !