Machine, Anti-machine, Emmanuelle Pireyre. par Véronique Pittolo

Les Parutions

07 janv.
2025

Machine, Anti-machine, Emmanuelle Pireyre. par Véronique Pittolo

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Machine, Anti-machine, Emmanuelle Pireyre.

 

Commencer l’année sans télévision avec Emmanuelle Pireyre.

 

 

Récemment, je me suis débarrassée de ma télévision. Faut-il le déplorer ?  La télévision à la cave, j’échappe au planning quotidien de mes soirées découpées en plages rassurantes et divertissantes. Maître étalon de la société du spectacle audiovisuel, le 20 heures servait à remplir mon cerveau disponible, avec un liquide informationnel anesthésiant et légèrement bienfaisant. Ce petit livre étonnant d’Emmanuelle Pireyre provoque en moi une prise de conscience :

je sors définitivement de ma léthargie, j’interroge mes aliénations, je m’en sors grâce à ce livre qui m’aide à reconsidérer mon temps, entièrement nettoyé de la bollorisation.

Un champ créatif ouvre ma réflexion au-delà de la soupe addictive qui parasitait ma conscience. L’autrice ré-invente le 20 heures en courtes séquences narratives et thématiques (plages horaires). On y découvre ses activités quotidiennes, ses questionnements, une autodiscipline à toute épreuve. Les petits faits qui interpellent, choses réelles ou vues en ligne, de près, de loin, dans une boîte à outils en désordre.

 

En 2001, lors de la parution de Mes vêtements ne sont pas des draps de lit1, Emmanuelle Pireyre décrivait déjà notre dépendance aux écrans, avant la marée montante de Netflix :

Il fallait continuer à regarder les mardis soirs, les mercredis soirs et les jeudis soirs, vos téléfilms policiers, vos affreux privés, vos héroïnes …

S’adressant aux scénaristes : Nous attendons de vous l’oubli de la tristesse propre à nos existences temporelles, l’inversion de notre acheminement vers la mort.

 

Sans nos horaires, nous serions tous, à divers degrés, dépressifs face au néant des soirées illimitées. Les écrans multiples (de téléphone, mais pas seulement) occupent la vacuité  de l’existence qu’il faut colmater (insomnies). Dans son planning, l’autrice propose une mise à jour, un check-up de son enfance (carnet d’écolier, machine à laver cassée, arrivée des ordinateurs domestiques). Elle revient sur ses préoccupations littéraires, la femme de 30 ans, les menus végans, les traders, les fillettes sauvages, s’interroge sur le bilan de l’œuvre faite et à faire, sur la nécessité de continuer d’écrire quelque chose d’intéressant qui va capter le lecteur :

 

Qu'est-ce qui attire vers l'écriture lorsqu'elle est absente ? Bien sûr il y a des nécessités profondes, le besoin de clarifier le donné, quelque chose du vertige métaphysique, les subtilités retorses des relations humaines, l'émotion devant la beauté.

 

Puisant dans un vaste magasin d’accessoires, elle crée des dispositifs de rangement, s’invente son propre atelier d’écriture, une mise au point de ses motivations et de ses priorités :

 

 Finalement, un livre est un vaste 20 heures qui dure toute la journée, un exercice méditatif dans l’inconnu, une recette où, coûte que coûte, on se fait confiance. Comme à l’école maternelle il y a un temps d’accueil, un temps d’organisation, un temps de sieste obligatoire.

 

Les meubles d’un appartement en résidence sont réagencés, mais aussi la nature, le paysage

vu de le fenêtre (écran transparent), depuis la table de l'autrice au seuil d’un nouveau projet : Laisser entrer les choses attirantes aperçues au loin dans le flot passant du monde, choses cruciales, belles, gênantes…

Écrire consiste à sélectionner, négocier en permanence avec le temps,  désengorger ce qui dépasse. Le titre du livre, Machine, Anti-machine, s’incarne dans les objets familiers technologiques ou ménagers, le smartphone, substitut affectif, alternative au doux ronronnement télévisuel :

J'ai un rapport intense avec ce téléphone. J'ai retardé le moment de l'acheter car je savais qu’entre nous ce serait très fort. J'aime sa douceur dans ma main, j'aime la distance intime qu'il ajoute à ma vie, j'aime qu’il se mette à vibrer dans le creux de ma paume. Insomniaque, je pose ma main sur lui, et je m'endors.

 

Doudou transitionnel, le smartphone n’empêche pas l’aveuglement face à nos addictions :

Vivre avec les machines, c’est prendre sa part de culpabilité dans la destruction.

 

Depuis que je suis débarrassée de ma télévision, je fais mon lit consciencieusement chaque matin avant de travailler. Emmanuelle Pireyre m’aide en tant que coach en écriture psychologiquement efficace, elle m’aide à affronter mon désordre personnel et impersonnel, la marée montante des catastrophes (infos). Je la remercie d’entreprendre ce ménage utile et bienfaisant pour les lecteurs désemparés que nous sommes (en l’absence du 20h).

 

Raconter des événements c’est faire connaître l'opéra par le livret seulement. ..

Si j'écrivais un roman, je tâcherai de différencier les musiques successives des jours…

le ménager peut-être, vouloir écrire un roman, c'est envahir, habiter une pratique d'écriture ménagère.2

 

 

1Mes vêtements ne sont pas des draps de lit, E. Pireyre, Ed Maurice Nadeau, 2001.

 2La préparation du roman, Roland Barthes, éd Seuil Imec, 2003.

 

 

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