28 août
2005
Primo, un récit des origines de l'écriture. par Nicole Caligaris
Quand ils voyaient passer une comète, les anciens Grecs avaient coutume de faire un vœu pour l'âme dont ils venaient de surprendre le trajet lumineux. J'avais lu La Seiche comme un rituel funéraire, j'ai lu Primo comme un récit des origines de l'écriture. Maryline Desbiolles met en place les conditions d'un voyage qui remonte, en chemin de fer, par les gorges et les tunnels de la vallée de la Roya, plus haut que sa propre enfance, sur les traces de sa grand-mère italienne dont la mémoire traverse ses livres, ou peut-être plutôt l'origine de ses livres : la gourmandise, l'envie de les écrire ; et la passion de l'Italie. Pour goûter, justement, la beauté de la démarche, il faut savoir que cette ligne qui relie Nice à Turin présente la particularité de tunnels hélicoïdaux. Ainsi progresse Primo : par paliers, par rotations entre des temps différents, par perplexités, par corrections des illusions de mémoire, et de mémoire collective, par saisies au vol des correspondances entre ces temps (années 30, 1945, années 60) et le nôtre. Dans tous les sens du terme, Primo est une reconnaissance. Et un livre à placer, sur l'étagère de votre bibliothèque des comètes au trajet impeccable, lumières voyageuses du ciel obscur, à côté de l'Autobiographie de mon père , de Pierre Pachet (Belin, 1987- Autrement, 1994). Comme Pachet, pour aller à la recherche de ce qu'a vécu son père, s'est tourné vers la source qu'il lui a léguée : sa vie intérieure, Maryline Desbiolles est allée chercher ce qu'a vécu sa grand-mère, Italienne, émigrée en Savoie, qui éprouva la perte de deux fils, morts de pauvreté, disons ; et de cette perte, elle a fait son écriture. Non pas un récit historique des gens de peu de nos montagnes, non pas une élucidation automoigraphique, non pas une psychananiaise du deuil maternel : une écriture, profonde, vigoureuse, méditée, trempée à la source vive de toute littérature : le salut aux défunts, le scandale de la perte et... la mastication.