Pour Max Blecher par Nicole Caligaris
Manifeste Blecher
N'allez pas rater l'occasion de vous faire soulever du sol par un grand dont même les plus lecteurs des littéraires français ne connaissent pas le nom, malgré une première publication en 72 par Maurice Nadeau qui décidément n'aura pas raté grand chose en matière de géants : Max Blecher (1909-1938), « Voilà ce qui luttait contre moi, voilà ce qui m'était implacablement contraire : l'aspect commun des choses. », maître roumain de la littérature européenne, mort à 29 ans d'une tuberculose osseuse de la colonne qui l'aura cloué quasiment toute sa vie au lit dans des conditions épouvantables et dont se réclame le non moins grand mais beaucoup plus vivant Mircea Caratarescu, auteur de la magistrale trilogie Orbitor.
Coup double, cette occasion, puisqu'elle permet de saluer la création de l'Ogre, maison d'édition toute dernière née des ambitions vivaces et résolument littéraires de Benoît Laureau, et Aurélien Blanchard : « Avec l’Ogre, nous souhaitons défendre des livres qui, d’une manière ou d’une autre, mettent à mal notre sens de la réalité » ; « Dans le basculement du réel, il y a quelque chose d’actif, quelque chose qui nous pousse, qui nous assaille. On comprend qu'il brandissent comme manifeste et incipit de leurs publications cet Aventures dans l'irréalité immédiate, prix Nocturne 2013.
Voici Blecher, images, rêve, langue et mots, corps, corps !, définissant autant son écriture que le projet des Ogres on dirait :
« […] quelque chose du déséquilibre de mes chutes dans le rêve, avec leur effroi perçant qui traverse ma colonne vertébrale en un instant inoubliable […] » ; « […] entre moi et le monde, il n'existait aucune séparation. Tout ce qui m'entourait m'envahissait de la tête aux pieds, comme si ma peau avait été criblée de trous. » ; « À une certaine profondeur de l'âme, les mots habituels n'ont plus cours. J'essaye de définir exactement mes crises et je ne trouve que des images. La parole magique, capable de les exprimer, devrait emprunter un peu de leur essence à des sensibilités autres, se distillant en elle comme un nouvel arôme dans une savante composition de parfums. »
De sa brève existence, passée en grande partie au sanatorium de Berck, Blecher aura composé deux récits autobiographiques dont la lecture ne s'oublie pas : La Tanière éclairée, belle chronique qu'avait publiée Nadeau en complément aux Aventures… et un roman, ce terrible Cœurs cicatrisés que nous permettent aujourd'hui de lire les Ogres, avec une belle préface empathique de Claro et une très intéressante postface de Hugo Pradelle. Nos vifs remerciements, messieurs.
NB Les éditions de l'Ogre font paraître en même temps le premier roman d'un auteur de 26 ans dont l'imaginaire promet de lui tailler une place parmi les escamoteurs qui font régner le doute sur la réalité : Fabien Clouette, Quelques rides 144 p. - 16 €