26 mars
2002
Un nouveau Cummings par Jacques Demarcq
Il faut être patient avec la poésie (je pense aux lecteurs). Ses fulgurances ré-clament une préparation, je n'ai pas dit initiation, mais qu'on se détache un mi-nimum des conventions de langage qui nous font appréhender le monde et la vie, à commencer par nous-mêmes. L'inconscient est structuré comme un langage, disait Lacan. Le conscient est un répertoire géré par une grammaire, tous deux bien établis, maîtrisables sinon maîtrisés, etc.
Mais voilà avec un peu de patience, de petits miracles finissent pas se pro-duire. Vingt-cinq ans après l'introduction que publiait D. Jon Grossman dans la collection ìPoètes d'aujourd'hui" chez Seghers, Isabelle Alfandary propose un nouvel E. E. Cummings dans la collection ìVoix américaines" chez Belin. Grossman, en 1966, écrivait quatre ans après la mort du poète, qu'il s'agissait de faire connaître à des Français amateurs de poésie baignant encore dans l'esthé-tique surréaliste pour l'essentiel, malgré le début de reconnaissance de Michaux, Ponge, Denis Roche, ou Ezra Pound. Grossman se devait de rester au plus près des préoccupations explicites de Cummings. Aujourd'hui, grâce aux traductions de Grossman et un peu aux miennes, Cummings a deux-trois cents lecteurs en France, ce qui est fabuleux ! Isabelle Alfandary peut aborder la question de plus haut, et plus profond : par les formes poétiques et leur portée ; par l'implicite de l'écriture cummings, son élangue, son délié face aux discours conscients ou pas. Mais tout en finesse et légèreté, façon poids plume pourrait-on dire, s'il ne s'agissait d'un boxeur machine à écrire portative, transportable de l'amour à la société, de l'éternelle nature à la pire actualité. Pour Alfandary, la lutte avec langue à laquelle se livre Battling Jacob Cummings est d'abord une question de grammaire : ce n'est pas tant les sens qu'il dérègle que les règles d'assemblage des signes, depuis le minuscule de la lettre jusqu'à l'ample des phrases, en pas-sant par la ponctuation, les syllabes, les frontières de mots. À partir de quoi peut sourdre un sensible outrepassant le langage - mais nullement indicible puis-qu'il remue dans les poèmes, et qu'il perturbe les conventions de pensée.
Cette approche est, bien sûr, parfaitement éclairante. Le mieux est qu'à tra-vers l'exemple Cummings, l'essai d'Isabelle Alfandary laisse entrevoir ce qu'il en est des enjeux d'une certaine poésie : la meilleure à mes yeux, la pire pour les traditionnels blablas poéteux. Je veux dire qu'on peut lire ce petit bouquin quand bien même on ne s'intéresserait pas à Cummings. C'est un des meilleurs traités de poétique qui soient parus en France depuis longtemps (celui d'Alain Frontier par exemple, il y a dix ans, chez le même Belin). Avec un peu de patience, tout peut arriver... aux lecteurs.
Mais voilà avec un peu de patience, de petits miracles finissent pas se pro-duire. Vingt-cinq ans après l'introduction que publiait D. Jon Grossman dans la collection ìPoètes d'aujourd'hui" chez Seghers, Isabelle Alfandary propose un nouvel E. E. Cummings dans la collection ìVoix américaines" chez Belin. Grossman, en 1966, écrivait quatre ans après la mort du poète, qu'il s'agissait de faire connaître à des Français amateurs de poésie baignant encore dans l'esthé-tique surréaliste pour l'essentiel, malgré le début de reconnaissance de Michaux, Ponge, Denis Roche, ou Ezra Pound. Grossman se devait de rester au plus près des préoccupations explicites de Cummings. Aujourd'hui, grâce aux traductions de Grossman et un peu aux miennes, Cummings a deux-trois cents lecteurs en France, ce qui est fabuleux ! Isabelle Alfandary peut aborder la question de plus haut, et plus profond : par les formes poétiques et leur portée ; par l'implicite de l'écriture cummings, son élangue, son délié face aux discours conscients ou pas. Mais tout en finesse et légèreté, façon poids plume pourrait-on dire, s'il ne s'agissait d'un boxeur machine à écrire portative, transportable de l'amour à la société, de l'éternelle nature à la pire actualité. Pour Alfandary, la lutte avec langue à laquelle se livre Battling Jacob Cummings est d'abord une question de grammaire : ce n'est pas tant les sens qu'il dérègle que les règles d'assemblage des signes, depuis le minuscule de la lettre jusqu'à l'ample des phrases, en pas-sant par la ponctuation, les syllabes, les frontières de mots. À partir de quoi peut sourdre un sensible outrepassant le langage - mais nullement indicible puis-qu'il remue dans les poèmes, et qu'il perturbe les conventions de pensée.
Cette approche est, bien sûr, parfaitement éclairante. Le mieux est qu'à tra-vers l'exemple Cummings, l'essai d'Isabelle Alfandary laisse entrevoir ce qu'il en est des enjeux d'une certaine poésie : la meilleure à mes yeux, la pire pour les traditionnels blablas poéteux. Je veux dire qu'on peut lire ce petit bouquin quand bien même on ne s'intéresserait pas à Cummings. C'est un des meilleurs traités de poétique qui soient parus en France depuis longtemps (celui d'Alain Frontier par exemple, il y a dix ans, chez le même Belin). Avec un peu de patience, tout peut arriver... aux lecteurs.