Lire Houellebecq, méthode. par Carole Darricarrère

Les Incitations

13 avril
2019

Lire Houellebecq, méthode. par Carole Darricarrère

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Je ne vais pas canarder ce huis incarné sur lui-même que j’adore - et dont je me réjouis secrètement à la lumière de la lecture que j’ai fête de son dernier livre, « Sérotonine », qu’il ait trouvé bague à son doigt - alors même que je rentre ventre à terre de ma terre d’érection, pour mieux le dévorer, lui, plus vite, plus lentement.

 

J’aurais pu compter le nombre de fois où le mot ‘bite’ - rimant rythmiquement avec le mot tic -, m’exaspérant, est revenu à la charge  avec l’insistance d’un précis pornographique : méthode génitale. Je ne l’ai pas fait, estimant que son abus ne servait que mieux le propos : dénoncer le mauvais usage qu’il peut en être couramment fait. Portrait de l’amour en négatif, de l’amour duelliste empruntant des voies phalliques pour mieux s’en remettre, sur le tard, à l’Un, tampon gratteur du regret éternel trempé dans le bouillon de la nausée.

 

Visionnaire lucide, MH l’est. Au point de s’être dans la vie vraie accommodé du péril jaune depuis que le jaune est la couleur de l’avenir. Ni blanc de race ni noir de peau, l’espoir naît chez Houellebecq bouton d’or, Miss Shanghaï l’emportant sur Miss Japon - en toutes lettres son héroïne citron clair Yuzu, répudiée -, c’est toujours mine de rien que l’auteur règle ses comptes avec la réalité, celle des poules de luxe aussi bien que celle des poules d’élevage, son œil de lynx opérant dans le vif du sujet à petits coups léchés de scalpel je comparerais volontiers MH à un franc-tireur et chacun de ses livres à une balle tirée à blanc par le milieu à l’aune du plus équanime, du moins bavard de nos écrivains, maître silencieux à l’image de cette arme mythique autour de laquelle dans Sérotonine la narration se resserre, une Steyr Mannlicher HS50, suggérant que le travail du romancier entretient des affinités électives avec le tir sportif et requiert de lui de mettre en joue (viser juste) ses personnages et son sujet.  Chassant l’Homme in vivo dans ses moindres retranchements, ce roman est une mécanique de précision d’un piqué exceptionnel, « même à l’aube, même au crépuscule, même par fort brouillard, (le lecteur est) assuré d’atteindre sans difficultés un grossissement de 50x » (à l’égal des optiques Schneider-Kreuznach qu’il prête à son sujet page 202) sur pratiquement tous les sujets de société, cibles de choix allant de la pédophilie aux élevages industriels en passant par les implications des standards européens sur l’industrie laitière française, que MH soulève avec une morgue sans égale et une jubilation sans affèterie. Si « le tir de précision ça ressemble beaucoup au yoga », il fournit aussi page 232 et suivante au romancier pointilleux qu’est MH un modèle et une méthode imparable grâce à laquelle l’auteur passe chaque fois à l’instar d’un tireur « quelques minutes en dehors du temps, dans un espace balistique pur ».

 

C’est écrit tendu facture classique contemporain avec des pincettes, une lichette de lyrisme désabusé poétiquement correct car tiré à quatre épingles (page 98 et suivante, ô lecteur, retiens ton souffle !) et une pudeur aseptisée d’entomologiste porté sur la turlute - en prime quelques auteurs mythiques et personnages publics en prennent ici pour leur grade - ; MH n’en finissant pas de disséquer l’âme humaine retourne la bête crevée comme une crêpe sans jamais lui faire cadeau de sa barbarie ; et ça continue, même si, quelque parttoujours une femme (une muse) préexiste dans et hors du texte pour sauver la mise : ici symboliquement la vierge à l’enfant, l’enfant étant le projet de vie de la vierge et, potentiellement, l’avenir de l’homme, il est seul capable de déjouer les sinistres complots de l’adulte, ce zombi au cœur de pierre qui distille sans ciller la mort froidement.

 

Pour l’apprécier à sa mesure, il ne faut pas se contenter de lire Houellebecq mais bien le relire, patiemment, consciencieusement, tout reprendre par le menu depuis le début ; de « l’endurcissement des cœurs » à la conversion mystique aux signes (page 347 de « Sérotonine », les mots de la fin), la trajectoire de l’auteur n’en finit pas de coller à son époque pour mieux nous servir : laissez infuser.