12 juin
2012
Contre Une phrase juste par Lambert Castellani
Si j’ai tant de mal, si tous nous avons tant de peine à nous départir de la première impression, ce n’est pas tant par lâcheté ni parce que l’effort nous coûte ; c’est que le jugement nous biaise. Toutes trompeuses qu’elles soient, les apparences nous biaisent le cognitif. C’est un ancrage mental, dit-on.
En dépit des efforts colossaux déployés de toutes parts pour que ma génération (la tienne, Denis, ou pas loin) et les suivantes se tapent complet de tout ce qui n’est pas immédiatement identifiable zappable compulsable, je me méfie des apparences, et j’essaie – ça ne durera pas, mais tenons encore un peu - de compenser mes biais cognitifs par un effort intellectuel délicieusement désuet, ou parfaitement désespéré.
Mais là, là…Là ça commence très mal. Très mal.
Photo 4ème de couv., écharpe, cheveu souple. Un petit col blanc (au mieux écru) dépasse du pull bleu UMP. Le regard brille d’intelligence craintive : Bambi dans les phares.
Qui pose encore devant sa bibliothèque ? Qui pose encore, d’ailleurs ? La veste noire décore une chaise de bureau (à roulette, on le devine). Sous-vêtements propres, chaussettes dépareillées, à coup sûr.
Qui a proposé qu’on montre ta tête au peuple ? Qui a pensé elle en vaut la peine ? Qu’est-ce que ça inspire au lecteur, à part – au mieux – une légère indisposition ?
Pourquoi est-ce que les éditions de l’Agneau insistent tant pour mettre dans le livre cette liasse de
flyers, feuillets, guides, ce surplus d’information à ascendance info-pollution ?
Et Noémie Parant, ta compagne qui préface ton livre, que sait-on d’elle, de son autorité, qu’est-ce qui l’autorise à écrire à part qu’elle est fille de Jean-Luc Parant, artiste des boules et des textes sur les yeux ?
Et ton Hors-Livre, Denis, toutes ses notes, les tiennes, tes règles du jeu, qu’est-ce qui les autorise ?
Tout est fait pour orienter la lecture, tout ce qui n’est pas ton œuvre tend à l’explication de texte, celle qui biaise, ment, qui force la main, agresse, réduit, qui pourrait me permettre presque (mais qui fait ça !?) de tout dire de ton livre sans même l’avoir ouvert.
D’ailleurs, Denis, je ne l’ai pas ouvert, ton livre. Mais je sais déjà quoi en penser.
68 pages. Pas un point. Pas un saut de ligne. Aucune respiration. Aucun espoir de pouvoir décrocher, faire un tour ou crochet, raccourcir, raccrocher. Un marathon lecture, un inutile petit plaisir de lecteur, une performance de littérateur : lire, tout lire, tenir : voilà, je suis un dur de l’attention.
Un travail absolument pas moderne. Absolument pas. Un travail, pourtant, un bon gros travail, édité dans la collection Architextes (bravo…), Architextes : des travaux qui travaillent la forme… Et pourquoi pas des formes qui forment les travaux..?
Il est bien ton livre, Denis. Si si, vraiment. Parce que je l’ai lu, tu te doutes bien. C’est sérieux, la poésie. Je l’ai lu avec introspection, prise de notes, réflexion : tout bien. Tout bien assez pour voir qu’il est bien, qu’il aurait pu plaire, me plaire. J’aurais pu même en parler, rigoureusement, le penser, en débattre. Agir en critique.
Mais il ne sent rien. Et surtout pas l’époque. De ceux qui ne peuvent pas la sentir, l’époque, se bouchent le nez, ne veulent pas du fumet de langue pourrie sur pied, pas plus que du tout, tout de suite, ni du krach de la valeur esprit.
La valeur de l’attention est une donnée culturelle, elle évolue. Elle évolue, là, sous nous, autour. Elle se diversifie, se perd, pour toujours si ça se trouve. Elle pousse aux portes, repousse ailleurs. Elle offusque ? Les gosses trépignent, la concentration, mon bon Monsieur, il n’y en a plus ?
Non.
Plus assez, en tout cas, pour se farcir une phrase, juste, 70 pages durant. Ne comptez pas sur moi pour penser chouette !, mais ne vous attendez pas à ce que je trouve ça choquant.
Parce que poète, je n’en suis pas capable. J’essaie, j’aimerais, mais je n’y arrive pas. Allons, poète, rejoins tes camarades, ceux qui détournent, court-circuitent, qui font court, vite – ils veulent long ? Alors long. Mais vite. Ils veulent tout ? Qu’ils le prennent !
Parce que poète, je crois que ton art est la forme la plus libre et la plus à même de s’adapter à la nouvelle valeur de l’attention. Parce que la poésie est zappable, compulsable, qu’elle prend son pied la langue à contre-pied.
Et je crois bien que des phrases, juste, ne suffiront pas.
En dépit des efforts colossaux déployés de toutes parts pour que ma génération (la tienne, Denis, ou pas loin) et les suivantes se tapent complet de tout ce qui n’est pas immédiatement identifiable zappable compulsable, je me méfie des apparences, et j’essaie – ça ne durera pas, mais tenons encore un peu - de compenser mes biais cognitifs par un effort intellectuel délicieusement désuet, ou parfaitement désespéré.
Mais là, là…Là ça commence très mal. Très mal.
Photo 4ème de couv., écharpe, cheveu souple. Un petit col blanc (au mieux écru) dépasse du pull bleu UMP. Le regard brille d’intelligence craintive : Bambi dans les phares.
Qui pose encore devant sa bibliothèque ? Qui pose encore, d’ailleurs ? La veste noire décore une chaise de bureau (à roulette, on le devine). Sous-vêtements propres, chaussettes dépareillées, à coup sûr.
Qui a proposé qu’on montre ta tête au peuple ? Qui a pensé elle en vaut la peine ? Qu’est-ce que ça inspire au lecteur, à part – au mieux – une légère indisposition ?
Pourquoi est-ce que les éditions de l’Agneau insistent tant pour mettre dans le livre cette liasse de
flyers, feuillets, guides, ce surplus d’information à ascendance info-pollution ?
Et Noémie Parant, ta compagne qui préface ton livre, que sait-on d’elle, de son autorité, qu’est-ce qui l’autorise à écrire à part qu’elle est fille de Jean-Luc Parant, artiste des boules et des textes sur les yeux ?
Et ton Hors-Livre, Denis, toutes ses notes, les tiennes, tes règles du jeu, qu’est-ce qui les autorise ?
Tout est fait pour orienter la lecture, tout ce qui n’est pas ton œuvre tend à l’explication de texte, celle qui biaise, ment, qui force la main, agresse, réduit, qui pourrait me permettre presque (mais qui fait ça !?) de tout dire de ton livre sans même l’avoir ouvert.
D’ailleurs, Denis, je ne l’ai pas ouvert, ton livre. Mais je sais déjà quoi en penser.
68 pages. Pas un point. Pas un saut de ligne. Aucune respiration. Aucun espoir de pouvoir décrocher, faire un tour ou crochet, raccourcir, raccrocher. Un marathon lecture, un inutile petit plaisir de lecteur, une performance de littérateur : lire, tout lire, tenir : voilà, je suis un dur de l’attention.
Un travail absolument pas moderne. Absolument pas. Un travail, pourtant, un bon gros travail, édité dans la collection Architextes (bravo…), Architextes : des travaux qui travaillent la forme… Et pourquoi pas des formes qui forment les travaux..?
Il est bien ton livre, Denis. Si si, vraiment. Parce que je l’ai lu, tu te doutes bien. C’est sérieux, la poésie. Je l’ai lu avec introspection, prise de notes, réflexion : tout bien. Tout bien assez pour voir qu’il est bien, qu’il aurait pu plaire, me plaire. J’aurais pu même en parler, rigoureusement, le penser, en débattre. Agir en critique.
Mais il ne sent rien. Et surtout pas l’époque. De ceux qui ne peuvent pas la sentir, l’époque, se bouchent le nez, ne veulent pas du fumet de langue pourrie sur pied, pas plus que du tout, tout de suite, ni du krach de la valeur esprit.
La valeur de l’attention est une donnée culturelle, elle évolue. Elle évolue, là, sous nous, autour. Elle se diversifie, se perd, pour toujours si ça se trouve. Elle pousse aux portes, repousse ailleurs. Elle offusque ? Les gosses trépignent, la concentration, mon bon Monsieur, il n’y en a plus ?
Non.
Plus assez, en tout cas, pour se farcir une phrase, juste, 70 pages durant. Ne comptez pas sur moi pour penser chouette !, mais ne vous attendez pas à ce que je trouve ça choquant.
Parce que poète, je n’en suis pas capable. J’essaie, j’aimerais, mais je n’y arrive pas. Allons, poète, rejoins tes camarades, ceux qui détournent, court-circuitent, qui font court, vite – ils veulent long ? Alors long. Mais vite. Ils veulent tout ? Qu’ils le prennent !
Parce que poète, je crois que ton art est la forme la plus libre et la plus à même de s’adapter à la nouvelle valeur de l’attention. Parce que la poésie est zappable, compulsable, qu’elle prend son pied la langue à contre-pied.
Et je crois bien que des phrases, juste, ne suffiront pas.