17 oct.
2010
Sans bord et sans urgence de Guillaume Fayard par Lambert Castellani
Traducteur de profession, Guillaume Fayard maîtrise cet aspect du langage qui permet sa transmission. Dans Sans bord et Sans Urgence, il décrit une expérience extrême pour aller aux limites du langage ; confrontation d'univers qui ne sont pas forcément solubles ensembles. Alléchante volonté d'aller jusqu'à l'impossible à dire du langage.
Le psychologue clinicien en charge de l'institut (Philippe Blanc, très juste), préface le livre en posant la question du témoignage poétique, de sa recevabilité et de son ouverture : Qu'entendront ceux qui n'y étaient pas et pour ceux qui y étaient, s'y retrouveront-ils ? [... ]Dans cet univers où le mutisme n'empêche pas la communication et où les mots, voire les phrases prononcées, n'ont pas forcément valeur d'échange, de façon fortuite, à un moment donné, ça nous parle vraiment.
Qu'est-ce qui nous parle vraiment ? Quand est-ce que le langage intérieur prend sens pour l'autre, pour quel autre et par quel biais ? Qui est ce ça qui parle, nous entrechoque, se dérobe, hermétique, deviné, su, perçu, entraperçu ? Qu'est-ce qu'on a au bout de la langue ?
Oui, on a continuellement tenté d'enfoncer ces portes, mais il faut s'y frotter encore. Toquons toujours. Ca ouvrira, cette fois peut-être, vers l'impossible à dire du langage qui taquine les poètes et s'incarne dans l'autisme.
L'auteur s'est donc installé de novembre à janvier 2010 à l'institut Oriane - qui accueille des adultes autistes - comme suspendu au dessus d'un monde nouveau sans trivialité descriptive ou explicative.
Que reste t-il de cette expérience extrême pour aller aux limites du langage ? Qu'en restitue Guillaume Fayard et que pouvons nous en apprendre ? Pari risqué, inévitable semi échec. L'auteur effleure, frôle, prend des risques. Les ventres se nouent, la curiosité se pique. Et tout se dérobe de nouveau. Inévitable.
Il est question dans le travail de Guillaume Fayard du rapport de la pensée au temps. On écrit ce qu'il se passe, il se passe quelque chose d'autre. Mélanges de temporalités. Comment lutter, puisque pendant le temps de la description, le monde continue de se produire ?
C'est là qu'est l'Urgence.
Analogie surprenante que celle de ces joueurs plombés sur le terrain de bois, de fer, de plastiques, et qui de toute façon, enfilés comme ils sont en séries sur leurs tringles, n'ont pas les bras qu'il faut pour tremper la mouillette causale qui est notre réflexe, et dont nous disposons toujours sur nous.
La question du langage, de son impossible à dire, n'est-elle alors qu'un appendice causal, dispensable souffrance dont sont débarrassés les autistes, ceux qui ne peuvent pas oublier - ne peuvent absolument pas oublier - que les mots ne leur appartiennent pas, qu'ils sont «originairement répétés » (citation de Michael Turnheim qui ouvre l'ouvrage) ?
Replongée de la mouillette causale : quelle origine répétée ? Qui a parlé ? Oublié ça aussi ? Refoulé ? A force de chercher la cause forcément on se plante dedans.
Ici est le Bord.
L'autre (celui qui n'est pas autiste) vit vers le Bord et dans l'Urgence. L'autre n'est pas un danseur. Son appendice causal l'empêche de danser. Pour Guillaume Fayard, certains résidents sont des représentations de danse contemporaine tout à fait intéressantes. A l'extérieur de l'établissement, sur le parking, l'autre n'a pas la fibre expressive, il a une drôle d'aisance et toujours le même genre de gestes effacés, couverts d'intention, comme s'il y avait un risque à rester là, en exposition, un danger à rater sa manche. Peut-être...
L'autiste est-il alors Sans Bord et Sans Urgence ? Sans mouillette causale et dans l'oubli de l'insoutenable temporalité ? La conscience permanente de ce que les mots ont d' originairement répétés permet-elle enfin d'en être débarrassé ? Sans la cause, plus de Bord ? Plus d'Urgence ? Peut-être...
Guillaume Fayard ouvre aux Peut-être. Son travail est vif et sincère. Taillé, détaillé, au plus proche. Un tour au dehors de la piscine qu'est le monde, le nôtre, celui qui cause de la pluie et du beau temps, celui qui cause bien des soucis. Celui de la cause aussi.
Et puis c'est l'heure. De la fin d'être différé. La fin d'être content des détours simplifiants de la parole, instituée comme centre. Guillaume Fayard nous rassure : Sachez-bien que je serai à nouveau immergé savamment, comme nous le sommes dans le bain de l'eau courante. Avec des gestes réconciliés de la brasse efficace maximaliste des vies splendides que nous avons.
Priorité à la piscine, offre t-il en conclusion.
Peut-être...
Le psychologue clinicien en charge de l'institut (Philippe Blanc, très juste), préface le livre en posant la question du témoignage poétique, de sa recevabilité et de son ouverture : Qu'entendront ceux qui n'y étaient pas et pour ceux qui y étaient, s'y retrouveront-ils ? [... ]Dans cet univers où le mutisme n'empêche pas la communication et où les mots, voire les phrases prononcées, n'ont pas forcément valeur d'échange, de façon fortuite, à un moment donné, ça nous parle vraiment.
Qu'est-ce qui nous parle vraiment ? Quand est-ce que le langage intérieur prend sens pour l'autre, pour quel autre et par quel biais ? Qui est ce ça qui parle, nous entrechoque, se dérobe, hermétique, deviné, su, perçu, entraperçu ? Qu'est-ce qu'on a au bout de la langue ?
Oui, on a continuellement tenté d'enfoncer ces portes, mais il faut s'y frotter encore. Toquons toujours. Ca ouvrira, cette fois peut-être, vers l'impossible à dire du langage qui taquine les poètes et s'incarne dans l'autisme.
L'auteur s'est donc installé de novembre à janvier 2010 à l'institut Oriane - qui accueille des adultes autistes - comme suspendu au dessus d'un monde nouveau sans trivialité descriptive ou explicative.
Que reste t-il de cette expérience extrême pour aller aux limites du langage ? Qu'en restitue Guillaume Fayard et que pouvons nous en apprendre ? Pari risqué, inévitable semi échec. L'auteur effleure, frôle, prend des risques. Les ventres se nouent, la curiosité se pique. Et tout se dérobe de nouveau. Inévitable.
Il est question dans le travail de Guillaume Fayard du rapport de la pensée au temps. On écrit ce qu'il se passe, il se passe quelque chose d'autre. Mélanges de temporalités. Comment lutter, puisque pendant le temps de la description, le monde continue de se produire ?
C'est là qu'est l'Urgence.
Analogie surprenante que celle de ces joueurs plombés sur le terrain de bois, de fer, de plastiques, et qui de toute façon, enfilés comme ils sont en séries sur leurs tringles, n'ont pas les bras qu'il faut pour tremper la mouillette causale qui est notre réflexe, et dont nous disposons toujours sur nous.
La question du langage, de son impossible à dire, n'est-elle alors qu'un appendice causal, dispensable souffrance dont sont débarrassés les autistes, ceux qui ne peuvent pas oublier - ne peuvent absolument pas oublier - que les mots ne leur appartiennent pas, qu'ils sont «originairement répétés » (citation de Michael Turnheim qui ouvre l'ouvrage) ?
Replongée de la mouillette causale : quelle origine répétée ? Qui a parlé ? Oublié ça aussi ? Refoulé ? A force de chercher la cause forcément on se plante dedans.
Ici est le Bord.
L'autre (celui qui n'est pas autiste) vit vers le Bord et dans l'Urgence. L'autre n'est pas un danseur. Son appendice causal l'empêche de danser. Pour Guillaume Fayard, certains résidents sont des représentations de danse contemporaine tout à fait intéressantes. A l'extérieur de l'établissement, sur le parking, l'autre n'a pas la fibre expressive, il a une drôle d'aisance et toujours le même genre de gestes effacés, couverts d'intention, comme s'il y avait un risque à rester là, en exposition, un danger à rater sa manche. Peut-être...
L'autiste est-il alors Sans Bord et Sans Urgence ? Sans mouillette causale et dans l'oubli de l'insoutenable temporalité ? La conscience permanente de ce que les mots ont d' originairement répétés permet-elle enfin d'en être débarrassé ? Sans la cause, plus de Bord ? Plus d'Urgence ? Peut-être...
Guillaume Fayard ouvre aux Peut-être. Son travail est vif et sincère. Taillé, détaillé, au plus proche. Un tour au dehors de la piscine qu'est le monde, le nôtre, celui qui cause de la pluie et du beau temps, celui qui cause bien des soucis. Celui de la cause aussi.
Et puis c'est l'heure. De la fin d'être différé. La fin d'être content des détours simplifiants de la parole, instituée comme centre. Guillaume Fayard nous rassure : Sachez-bien que je serai à nouveau immergé savamment, comme nous le sommes dans le bain de l'eau courante. Avec des gestes réconciliés de la brasse efficace maximaliste des vies splendides que nous avons.
Priorité à la piscine, offre t-il en conclusion.
Peut-être...