ÉLÉMENTAIRES, Bruno Fern et Tony Durand par Lambert Castellani
Au par cœur confite et ensevelie sous la longue liste des figures de stèle, c'est sur les bancs de l’école que la poésie s'encarcane parfois définitivement dans l'esprit des élèves : machin vagissant bon pour sentimenteurs larmoyants !
Toujours pédagogique et sonnant - jamais sommant ni assommant - élémentaires n'est ni un livre de poésie pour enfants (entendre : cuicui ouaf ouaf les fleurs gnangnans) ni un manuel scolaire distant édictant. C'est un recueil qui ne se tient pas hors de la portée des enfants mais reste exigeant.
Les 7 à 11 ans n'y sont jamais pris pour des gamins : si Bruno Fern accompagne ses textes de régulières notes de bas de pages (références à des poètes plus ou moins mondialement connus - Follain, Hugo, Cadou, Jarry, Corbière, Verlaine, Apollinaire / définitions courtes, précisions utiles, etc.), ce n'est que par touches légères qui poussent à aller chercher par soi-même ailleurs - plus loin. A réfléchir ! A ne pas se contenter de trois fois rien. Comme dans les ouvrages de poésie pour les grands, personne ne vous tiendra la main. L’auteur sait les enfants malins, plus futés, affûtés, pas du genre à se faire flouer par qui s'est pas foulé - du genre à vouloir voir nettes les images floutées sous licence poétique périmée. Ses poèmes ne sont ni lieux communs ni simples gags – jamais prétextes aux leçons de plomb. Et on s'y surprend, adulte, à y (re)découvrir la poésie et ses 100 façons.
Listes, petites annonces, consignes, questionnaires, chansons, dialogues, etc. : l'ouvrage, structuré comme une journée d'école, offre au rythme des sonneries un tour de l'histoire de la poésie du moyen-âge à nos jours, à travers ses différentes formes.
Et quelles formes ! Patrimoniales, certes mais aussi parfois brutalement modernes, quitte à dérouter petits et leurs parents (prose longue sans ponctuation, texte à la grammaire sommaire, orthographe valétudinaire, rythmes brisés sans avertissement liminaire, thématiques auxquelles on n'a pas souvent affaire...) : de quoi laisser entendre que la poésie ne se laisse pas si facilement atteindre - et qu'il faudra, aussi, y mettre un peu du sien. Mais que la récompense n'est pas loin !
De quoi rappeler, aussi (la note du bas de la page 51 est riquiqui mais en dit bien plus qu’elle ne le feint) qu’en poésie on a le droit !
Les illustrations de Tony Durand, en papier découpé, disent le même engagement : c'est pour les enfants, mais pas négligé pour autant. Elles accompagnent gaiement les textes à chaque moment important de la journée (cantine, sport, récré).
En filigrane : la tendresse d'un enseignant qu'on comprend fraîchement retraité et qui, "remerciant tous les élèves passés dans [sa] classe, entre septembre 1983 et juillet 2022", fait œuvre de transmission – vers les enfants, certes, mais aussi pour qui, concerné, se demande comment articuler pédagogie et poésie.
Enfin, Bruno Fern n'oublie pas que les enfants sont tout autant accablés par les angoisses de la vie que les grands. Le texte qui clôt l’ouvrage rappelle ainsi que le poème, c’est bien du tissu vivant à destination de tous les parlants :
THE END
BOUM BOUM BOUM
Qu’est-ce qu’on entend
là tout au fond de l’enfant
qui s’est paumé pour un temps
dans les couloirs du collège
puis de la vie & ses pièges
avant de se retrouver
plus tard vaut mieux que jamais
– PAS VRAI ?