Jahz Armando, Je suis le vide entre les mots par Pierre Gondran dit Remoux
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Quel est ce vide entre les mots qui donne son titre au premier recueil de Jahz Armando ?
Ce vide entre les mots n’est pas celui de la page emplie de blanc d’André du Bouchet, vide qui, chez ce dernier, sertit le mot et lui transmet son caractère élémental qui universalise le poème, fut-il inspiré par un lieu précis, un rapport quotidien et rigoureux au paysage — ce blanc proche du ma japonais (qui sépare pour unir) exerce une tension qui s’applique fondamentalement à la langue, ce qui éloigne du Bouchet du naturalisme. Ce vide entre les mots n’est pas non plus le plan qui structure les rapports spatiaux du poème d’Ilse et Pierre Garnier, éther cosmique où flottent les mots-étoiles, indépendamment de toute syntaxe, reliés par la seule gravitation des graphies. Il est encore moins le Réel lacanien, c’est-à-dire ce qui échapperait au langage — contrairement à la réalité, que structure et décrit le symbolique.
Ni universalisant, ni spatial, ni psychanalytique, ce vide entre les mots est un « Je », un « Je » en expansion :
« JESUIS LE VIDE E N T R E L E S M O T S »
C’est de chair qu’il s’agit : elle jaillit aux forceps d’une langue-carcan qui l’a longtemps corsetée et étiquetée (« Je crois que je suis devenue arabe le jour où je suis arrivée en France. Avant ça… J’étais juste en vie. »). Une chair qui s’éloigne du langage en l’écartelant, langage mort incapable de l’équivocité nécessaire pour rendre compte de cette chair en transition : du « F » du passeport au « H » illusoire de l’Histoire racontée par les Hommes. Une chair en révolte contre le langage dominant — révolte qui s’exprime également dans la typographie, créée par Eugénie Bidaut et Camille Circlude —, afin de rendre tangible cet espace fugace du non-langage, de l’aphasie archaïque sans cesse renouvelée que nous connaissons toutes et tous au réveil, avant le tout premier mot.
La terre de mon enfance
m’enveloppe toujours du même
amour.
À chaque pays son Histoire et
son panel de masques.
J’oublie tout de ces
histoires quand je m’endors, et
avant qu’on ne me rappelle qui
« Je » suis, je divague à
l’éveil dans un flou éternel.
Le texte prend la forme d’une pièce de théâtre où se joue la recherche d’une identité en suspens et dont les protagonistes sont autant de personae de l’auteur. Par sa philosophie buissonnière du « moi », ce corps à la fois multiple et individué, à la trajectoire singulière qui l’éloigne radicalement d’un universel chimérique, trace paradoxalement des possibles pour les autres, en contant enfin une histoire minoritaire, une histoire de cicatrices en double sourire.
Ce beau texte qui déborde de créativité, d’aplomb et de surplomb, articulant fragilité et puissance comme il est peu courant de le lire, ne sera pas simple à dénicher : dans les librairies parisiennes EXC, la Régulière, Violettes & Co, auprès de l’éditeur (maisonelophir@gmail.com) et auprès de l’auteur, également comédien, qu’il faut voir déclamer ce texte de tout son corps.