L'ultime Thulé de Gérard Cartier par Christophe Stolowicki
Sous-titré jeu de l’oie, celui, inventé probablement à la fin du seizième siècle en Italie, où plus souvent « on répète le coup précédent » ou « recule sept fois son nombre de dés » qu’on ne progresse sur sa spirale, son anneau de Moebius et reconnaît son ombre, son bord, son fjord, son étoile. S’inspirant de la légende de Brendan, moine navigateur irlandais du sixième siècle, reprise en maints codex d’un « latin bâtard et coloré » ; Verne cité en exergue, d’un Nautilus à mains nues un saint hirsute tenant la barre, aux bancs de chiourme quatorze apôtres fleurant le rance, les aventures d’Arthur Gordon Pym gardées en haleine ; Gérard Cartier, ingénieur en sa première vie, qui a construit des ponts, bien suspendus, pas des tropes, puis seulement des ouvrages de poésie, cela de carré en lui ne se syncopant jamais, restant à l’ultime bord de la syncope comme la marque de fabrique d’un qui ne se surpaye pas de mots ; de divagation précise d’île en île en nil, ce néant contracté latin, à lire vite très lentement, à reprises en cornet d’un dé ou deux, de case en case en tournant les pages et en les retournant comme les cartes d’une partie perdue d’avance, perdue sur avance, de naufragé – brûlant ses dictionnaires comme ses vaisseaux, ses pénultièmes cartouches, Gérard Cartier, en géopoésie primale à l’aune de nos temps métis, son nord non celui des boussoles, toutes boussoles esseulées nous entraîne dans une « théologie dans le boudoir », de quoi retourner Sade dans son tombeau pour cinq cent mille soldats afin que son nom s’efface de dessus la surface des flots.
Des myriades de vaguelettes sourdent quelques lames de fond, en capitales légères en bas de page, celles de la douleur de connaissance. L’ultime Thulé n’est pas un Graal ordinaire, et plutôt qu’une Toison d’or une de vermeil ou d’érable, celle du bel âge. Au regard de l’ascèse évoqués les « 5 sens comme autant / de vents pour l’esprit » ; au « chant rouge / des cardinaux » point à la ligne celle d’horizon. Sur la carte au cinquantième, rugissant encore, réitéré en italiques centrées, en romaines avec enjambement, que « la mer ne borne pas le monde ». Du barde Brendan l’âcre récit diffusé par les âges jongle avec les algorithmes d’une composition radicale. Des formes récurrentes comme laudes, vêpres, complies, scandent les jours d’une poésie au long cours. Alternant de page en page le compact et l’ajouré, spécifiquement poétique de ses seuls blancs, mêlant de virgules prosaïques les points suivis de minuscule de la pure scansion, la ponctuation enroule déroule des structures rechargées. Un poème tout en distiques délasse du long tenant. Le dialogue de romaines et d’italiques réinvente un style indirect libre, Flaubert rebroussé en poésie.