Chacun son corps un lieu-dit, de Nathalie B. Plon par Christophe Stolowicki
La psychanalyse marquant le pas de ses limites et l’inculture se répandant comme une poignée de psychotropes – heureusement la poésie est là. Le malheur d’enfance que le corps paye au prix fort porte une signature qui le plus souvent n’est pas génique, ou génique de surcroît, et mieux qu’aucune autofiction la poésie, par ses ruptures et écarts de registres, de tous ses tropes dont l’anaphore, est le remède premier. Nathalie B. Plon s’est révélée dans ce courage (Faire le mort et aboyer, 2021).
Mais son corps un lieu-dit en place et lieu de dire subit sa voix passive jusque dans l’impasse qui le dévoie.
« habiter un corps c’est être […] / tributaire d’une signalisation défaillante [jusqu’à] en faire un jour le tour » est annoncé dès l’exergue, et malgré l’intense lucidité de Nathalie B. Pion qui fait écho en nous, comment la défendre contre l’universalité d’une dé-finition du corps comme lieu dit réduit en « lieu-dit » – ni bourg ni commune. Colette, René Char n’habitaient pas leur corps, étaient leur corps – et âme confondus.
« c’est physique de long en large » – non, c’est moral.
La violence retournée contre soi en d’inédites strangulations.
« de quoi faire un tête-à-queue contre dos d’âne », « les os s’arrachent en tête de gondole », « c’est si grand-ouvert / aux foires d’empoigne », « s’attendre tout droit avec le crabe de la cage / thoracique / à partager », « son viscère en main propre » – évacuations qui nous happent, mais la poésie peut mieux faire. Encore un effort, ma sœur, pour être vraiment efficiente sur soi.
« c’ / est un corps un lieu-dit qui » ouvre anaphorique sur maintes horreurs blêmes dans leurs sentiers d’hôpital à poussière d’étoile et de trèfle à quatre feuilles et d’ « exil cardinal », « c’ / est un corps un lieu-dit qui tire ficelles de / contre-allée à quai de droit de passage », « c’est un corps un lieu-dit presque carcasse en bout de benne », cela s’engorge d’encalminer les registres parce qu’on en a reçu l’accolade.
Quand maman ne m’a jamais pris la main (Violette Leduc, La bâtarde, mieux vaut être bâtarde que née d’un premier lit, délégitimée version contemporaine de bâtarde), de l’âme le corps se détache, tâche sur tache délie ses attaches.
La poésie, cette « syntaxe à découvert », seul salut.