Un temps de fête, de Guillaume Decourt par Christophe Stolowicki
Un livre bien calibré. Le calibre n’est pas celui des derniers Smith & Wesson mais de la plus pure poésie en prose. Sept lignes par poème. Aloysius Bertrand et Baudelaire s’en retournent sur leur grabat.
Un livre bien élevé, comme on élève ses poissons-chats, jamais la voix ; superficiel suave qui vous voussoie, du fond du cœur, du cœur de Grèce et de politesse fondamentale : « Ma chemise hawaïenne et moi, nous ne faisons jamais de politique. »
« La masturbation rend sourd » : le plus avisé des conseils à mes fils. On a deviné que ce sont des jumeaux, d’un coup double de champion de billard.
Mais sait-on quelles épreuves, quelles prouesses, de nageur, de grimpeur (« Les cocotiers m’émeuvent. J’ai grandi parmi eux. Se hisser jusqu’à leurs noix comme un autochtone constituait toujours une épreuve. Et je m’en sortais honorablement. ») se tiennent coites, et parfois affleurent, pour délivrer la juste mesure qui ici tient lieu de mètre, en ces phrases brèves de poète – du richement vécu.
La poésie un cours de danse, danse, danse, danse. Il n’est pas une proposition relative qui tienne par ce grand soleil.
Poèmes télégrammes, photogrammes. Avec la « légère couche de gras sur les muscles » des grands nageurs des peuples premiers.
« Ce n’est pas le temps passé mais soi-même qu’on regrette dans la nostalgie. » Proust obsolète. André Breton trop furieusement poète. C’était un temps de fête.
« De la discipline, de l’ascèse. […] Considérer l’art comme l’égal du sport. […] séries de pompes par séries de douze ou trente-deux en exergue. Comme les préludes et fugues ou les Variations Goldberg. » De l’aria à l’aria, rester égal à soi-même.
« Mes yeux bleus sont devenus gris avant de passer au beige » fait écho à « soie grège » ou soi grège ou s’agrège, trahissant Le spleen de Paris qui se gardait de toute rime.
« Je suis l’écolier de moi-même et je me fais un devoir d’écouter mon précepteur. » Une éthique aussi exigeante que celle de Marc-Aurèle guide les pas du poète, celle du loisir à laquelle il ne déroge pas davantage que le philosophe à son sempiternel labeur d’empereur.
« Je t’aime ours, sanglier, chevreuil, labrador, amanite, panthère, digitale. Je descends du mirador. Je t’aime truite, écrevisse, gardon, carpe, brochet. Je prends la fuite. Je t’aime cocotier, baobab, ylang-ylang, arbre à pain. Je prends la barge. L’attente est longue. Je t’aime zébu, maki, roussette, scolopendre, dauphin, baleine à bosse, dugong, femme, enfant pas sage. Vous tous, dans mon calepin. » Pensez-vous. Narcisse jaillit à toutes mains de ce dialogue ostensiblement intérieur dont le deux temps va s’amplifiant, tant dans son temps de retrait que dans son rebond multiple – en quels tropes de nom hellène qui ne parlent qu’aux érudits le décortiquer quand sa musique, entre Scarlatti et le jazz, prend aux cheveux.