Nigoun avec paroles, de Sanda Voïca par Christophe Stolowicki
« L’oiseau de la paresse fait signe enfin : tzip-tzirrippp ! / L’oiseau de l’amitié se défend de l’accusation : “traître” / […] “Action servile ou souveraine ?” / me questionne l’oiseau philosophe. / Et des plumes d’un canard mandarin cachent ses vraies plumes / – vraies jusqu’à quelle strate ? […] // Je n’ai pas le ton, voix, les plumes, le bec, le cou, les pattes et encore moins le regard ou le cœur, et jamais n’aurai le vol multiple d’un tel oiseau. » Mais au moins le vol bis, bifide, binaire d’une poète qui, née en 1962 en Roumanie, y enseignant le roumain et le russe, a émigré en 1999 en France, la seconde patrie des Roumains (cultivés) depuis bientôt trois siècles, et en a investi le champ rhapsodique, de recueil en recueil, en un étagement de sortie de rêve ou rêverie, avec une rare intensité, une saisissante pénétration.
« L’oiseau du rêve unique veut son clonage urgent », confirme-t-elle ma lecture, mon écoute.
« De la logorrhée au logos il y a mon regard dans l’abyme. » Le poème sème son pesant d’élan, d’élancement verbal sur le fin fond verbeux qui est son quotidien dans un jardin de chants et de cris menus et de phrases suspendues à triple spirale sur ces trois siècles au moins.
« La séparation des eaux a été ma ligne d’horizon première / […] L’horizon dans le paysage blanc : le blanc et son double »
De transparence en transparence, de son fondu enchaîné d’humain et de plumage, de cheval ailé, d’humain à bec d’oiseau s’étirant sur l’échelle de ses sensations, Adeline Contreras, née en 1977, a su répondre d’imprégnation profonde aux poèmes de Sanda Voïca.
Nigoun (on attend longtemps la solution de l’énigme) est la mélodie de danse hassidique (il y eut des Juifs en Roumanie) tenant en tension – celle d’une vie et du désir, affirmé ici sinon resté vivace – cette plaquette qui est cependant un recueil (2000 – 2016). Il m’en demeure comme un frémissement l’accent invisible qui me court à même la peau.