26 juin
2006
Le bonheur de la nuit d'Hélène Bessette par Nathalie Quintane
L'os à ronger.
Ainsi, le temps de Bessette serait venu.
Ainsi, le lecteur de 2006 - plus que celui de 1955, de 1965, de 1973 - serait plus à même de goûter l'écriture - coupée, raide, ìingrate" - de Bessette, de rire à ce qui le fouette sans façon, à ce qui lui dit ses quatre vérités :
Puis on se décide pour le romanesque, ce rez-de-chaussée de l'intelligence.
Sait-on jamais. Grand mal lui fasse.
Hélène Bessette publie, de 1953 à 1973, onze romans, un récit et une pièce de théâtre. Pour elle, Laure Limongi fonde chez Léo Scheer une collection et exhume (c'est le cas de le dire, tant on voulut et crut en enterrer définitivement l'auteur) un inédit : Le Bonheur de la Nuit - un inédit et un chef d'oeuvre de plus.
Comme dans MaternA (1954) et sa splendide ouverture ...
Roman sans paysage;/Pas de décor./Pas le temps de décorer./Sans décoration./Siècle de la vitesse./Le lecteur est pressé./La romancière est pressée...
Bessette annonce d'entrée la couleur - pas le genre à ménager le suspense :
Sous le signe de Breughel./Le vieux./D'abord (...) Eux les Breughel difformes et
amoindris./Maintenant répandus sur la terre.
Ces ìBreughel difformes et amoindris", ce sont des aristos, des aristos avec château en proie au démon de l'adultère bourgeois. Rien de plus commun, donc. ìVieux roman", dirait l'auteur, qui ne bâtit ses romans que sur le Roman pré-existant - le grand récit, le récit bourgeois destiné à tous, le seul à faire jouir, à distance bien sûr, encore et toujours, et qui tient en une formule : AM + AR = B (amour + argent = bonheur).
Résumé page 203 : Le valet de chambre veut Doudou. la blonde. Doudou la Blonde veut le Marquis. Le Marquis veut la Marquise et Chérie. la Marquise veut le jeune homme jaune.
Voilà le roman torché.
La force des livres de Bessette tient très exactement dans cette réduction expressive à peu près inexplorée en France au moment où elle écrit (c'est pourquoi elle en appelle à Stein, à Pound, au ìroman américain"), réduction expressive seule à même de rendre compte de la folie extensive du monde. On sait que Duras soutint Bessette, consciente sans doute d'avoir affaire à l'un(e) de ses rares concurrent(e)s, mais contrairement à Duras, Bessette ne construit pas de mythologie, elle en détruit radicalement les tenants, en laissant simplement parler les protagonistes (les possesseurs du mythe, de la parole, parce qu'ils sont les possédants - ainsi, dans N'avez-vous pas froid (1955), le Pasteur retrousse-t-il progressivement son discours, dressant un portrait de plus en plus impitoyable de son Monde, sans jamais cesser d'y adhérer, bien entendu). La lecture politique de Bessette est sans espoir : il n'y a pas de ìlutte des classes", il n'y a qu'une seule classe (Les Invités. Les Domestiques. La Famille, énumère-t-elle dans Le Bonheur de la Nuit). Tant que tous auront la même explication des mêmes situations, il n'y aura pas d'alternative. Avant 68, après 68, Bessette s'en tient là.
Et pas plus de révolution stylistique que de l'autre. Roman décevant, énonce-t-elle page 215 du Bonheur. Sa désinvolture connaît peu de bornes, dans la littérature comme dans le méta :
Nous espérons que ce livre sera imprimé à trois mille exemplaires afin que trois mille personnes sachent d'une manière certaine qu'il s'agit bien d'une petite comtesse absolument au-then-ti-que.
L'os à ronger est mince. Mais cet os que nous jette Bessette n'a le goût d'aucun autre.
RIEN écrit-elle en grand sur une page; rien que le refus : ì Le négatif est un gladiateur en carton; le premier chien venu le renversera, mais il n'aura rien à manger "(Alain Rivière).
Ainsi, le temps de Bessette serait venu.
Ainsi, le lecteur de 2006 - plus que celui de 1955, de 1965, de 1973 - serait plus à même de goûter l'écriture - coupée, raide, ìingrate" - de Bessette, de rire à ce qui le fouette sans façon, à ce qui lui dit ses quatre vérités :
Puis on se décide pour le romanesque, ce rez-de-chaussée de l'intelligence.
Sait-on jamais. Grand mal lui fasse.
Hélène Bessette publie, de 1953 à 1973, onze romans, un récit et une pièce de théâtre. Pour elle, Laure Limongi fonde chez Léo Scheer une collection et exhume (c'est le cas de le dire, tant on voulut et crut en enterrer définitivement l'auteur) un inédit : Le Bonheur de la Nuit - un inédit et un chef d'oeuvre de plus.
Comme dans MaternA (1954) et sa splendide ouverture ...
Roman sans paysage;/Pas de décor./Pas le temps de décorer./Sans décoration./Siècle de la vitesse./Le lecteur est pressé./La romancière est pressée...
Bessette annonce d'entrée la couleur - pas le genre à ménager le suspense :
Sous le signe de Breughel./Le vieux./D'abord (...) Eux les Breughel difformes et
amoindris./Maintenant répandus sur la terre.
Ces ìBreughel difformes et amoindris", ce sont des aristos, des aristos avec château en proie au démon de l'adultère bourgeois. Rien de plus commun, donc. ìVieux roman", dirait l'auteur, qui ne bâtit ses romans que sur le Roman pré-existant - le grand récit, le récit bourgeois destiné à tous, le seul à faire jouir, à distance bien sûr, encore et toujours, et qui tient en une formule : AM + AR = B (amour + argent = bonheur).
Résumé page 203 : Le valet de chambre veut Doudou. la blonde. Doudou la Blonde veut le Marquis. Le Marquis veut la Marquise et Chérie. la Marquise veut le jeune homme jaune.
Voilà le roman torché.
La force des livres de Bessette tient très exactement dans cette réduction expressive à peu près inexplorée en France au moment où elle écrit (c'est pourquoi elle en appelle à Stein, à Pound, au ìroman américain"), réduction expressive seule à même de rendre compte de la folie extensive du monde. On sait que Duras soutint Bessette, consciente sans doute d'avoir affaire à l'un(e) de ses rares concurrent(e)s, mais contrairement à Duras, Bessette ne construit pas de mythologie, elle en détruit radicalement les tenants, en laissant simplement parler les protagonistes (les possesseurs du mythe, de la parole, parce qu'ils sont les possédants - ainsi, dans N'avez-vous pas froid (1955), le Pasteur retrousse-t-il progressivement son discours, dressant un portrait de plus en plus impitoyable de son Monde, sans jamais cesser d'y adhérer, bien entendu). La lecture politique de Bessette est sans espoir : il n'y a pas de ìlutte des classes", il n'y a qu'une seule classe (Les Invités. Les Domestiques. La Famille, énumère-t-elle dans Le Bonheur de la Nuit). Tant que tous auront la même explication des mêmes situations, il n'y aura pas d'alternative. Avant 68, après 68, Bessette s'en tient là.
Et pas plus de révolution stylistique que de l'autre. Roman décevant, énonce-t-elle page 215 du Bonheur. Sa désinvolture connaît peu de bornes, dans la littérature comme dans le méta :
Nous espérons que ce livre sera imprimé à trois mille exemplaires afin que trois mille personnes sachent d'une manière certaine qu'il s'agit bien d'une petite comtesse absolument au-then-ti-que.
L'os à ronger est mince. Mais cet os que nous jette Bessette n'a le goût d'aucun autre.
RIEN écrit-elle en grand sur une page; rien que le refus : ì Le négatif est un gladiateur en carton; le premier chien venu le renversera, mais il n'aura rien à manger "(Alain Rivière).