Eva Eva Eva, Anne Parian par Nathalie Quintane

Les Parutions

26 févr.
2025

Eva Eva Eva, Anne Parian par Nathalie Quintane

Eva Eva Eva, Anne Parian

 

 

Eva Eva Eva : sinueuse, souple, en prose coupée courte (trois, quatre ou cinq syllabes), avec ces jeux flexueux de syntaxe dont elle (Parian) est l’as. Une suite (enfin !) du travail — moins tourmentée peut-être, plus offensive, et qui joue :

 

La plupart du temps

on n’en fait 

pas assez tu

ignores tout

des machines

extenseurs barres

muscle-toi bandes

armes silencieuses

de préférence

poignard flèche

ficelle sarbacane 

sabre massue

javelot nunchaku

experte en arts

martiaux toi

aussi ninjutsu

krav-maga sans

états d’âme 

 

Ça joue. Ça joue que ça tue, dans ce qui n’est pas un détail : 

 

Certains ont aussi raconté

Qu’elle avait découpé ce vaniteux

D’un grand couteau de cuisine

Resté dans son fourreau (…)

 

On le revoit à la fin du livre, ce couteau resté dans son fourreau — mais qui tue. Un jeu, pour de bon. De la poésie, en somme. Une coulée poétique, bordant un conte (dont la reine a trois filles prénommées toutes Eva), et arrêtée par trois fois par la même photographie, celle d’une pierre à la triste tête. 

 

Et sinon ?

 

Eh bien sinon, tu suis (du verbe suivre) une… créature, en perpétuelle transformation, inter-sexe, inter-espèce, inter-matière, dans une aventure (comme une déclinaison de la hyène-acrobate* de Théo Robine-Langlois), une aventure fantastique sans cesse réactée par le nom Eva, « titre » de tous les poèmes ou plutôt relance rythmique — soit un film (ça joue), une île du docteur Moreau fraîche, dont Eva serait toutes les bêtes et le poète aussi, l’un et l’autre s’entraînant, se bousculant, se mêlant et s’alternant pour. Pour, c’est dit :

 

surtout tuer un

à un les pourris ne

 

Et préciser dans la foulée :

 

suffit pas ne

pas l’imaginer

qui le peut

 

Pourtant, la joie et la folie l’emportent dans ce livre qui comprend tout de l’époque, de ce qu’on peut avec intelligence faire de la fluidité, de la non-assignation, de la non-identité. Combien tout paraît fade, apprêté, soucieux de dire ce qu’il convient de dire dans les formes qu’il convient d’adopter, quand on lit Anne Parian. Aucun poète, à l’exception de Manuel Joseph ou d’Antoine Hummel, ne trouble autant [la langue] que Parian. Aucun autre ni aucune autre ne nous gêne, ne nous malmène, ne nous excite autant que ces trois-là — et quoi ? C’est déjà beaucoup ; il pourrait n’y avoir personne. 

 

Maintenant, je vous donne la fin — puisqu’il est important que les choses soient dites, et publiées :

 

On meurt 

laissant des

tas de saloperies

derrière soi c’est

la règle ceux

qui essaient

autrement passent

pour des originaux

autrement dit

des dingues

 

* In Le Plaisir d'un casse retardé par les plantes maintenant ou En toute occasion passe comme un coup de vent (éditions Dépense Défensive, 2023). 

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