Moines et chevaliers d'Eugène Green par Ariel Spiegler
L’AMOUR DE LA LUMIÈRE
Les éditions du Rocher nous offrent le dernier roman d’Eugène Green, Moines et chevaliers. Quand on écrit le compte-rendu d’un livre, il est normal de raconter l’histoire, d’expliquer pourquoi le texte mérite vraiment d’être lu, de faire toutes ces choses.
Je n’ai pas tellement envie de me plier à cette norme fort raisonnable, car comme le dit l’un des personnages, « je défie en permanence la Raison, poursuivant des voies qui, selon elle, partent en sens opposés. »
J’ai envie de vous parler de ce livre parce qu’il ressemble à un trait. Il va droit son chemin ; il touche dans le mille, comme une flèche qui aurait visé dans le cœur le « plus bel endroit de la fontaine » selon l’expression de Charles Perrault. Je me suis promenée tout à l’heure en pensant à Virgilio, l’un des personnages du livre, qui veut être « un moine dans le monde » et ne vit pas seul, malgré les apparences sensibles.
Je crois que l’histoire montre ce qui nous meut et à quoi nous répondons en agissant, en choisissant telle ou telle vie. C’est un livre qui parle des vocations singulières et de la grande vocation humaine, de la façon dont les deux s’articulent au fil de l’existence et même après. Ces choses-là sont mobiles, ouvertes à ce qui peut toujours arriver tout de même, à l’image de cette paix extrême qui envahit soudain Virgilio au moment où il risque tout : « Il se rappela que ce n’était pas une décision de son intellect qui l’avait fait venir là, mais un mouvement intérieur, et désormais il n’avait plus peur. »
Je pense avec Moines et chevaliers à cette injonction biblique : « Écoute ». Ce que ça fait d’écouter ou pas ; entendre vaguement au loin ou pas du tout. Comment écouter quand on est pris dans le vacarme ? Comment commence le petit point de silence et d’amour capable de faire sangloter un géant ? Je crois qu’Eugène Green répond un peu à ces questions-là. Certaines rencontres fonctionnent comme des portes d’accès vers un autre monde, un monde invisible fait de lumière, de silence et d’amour. C’est le cas de la poésie, présente partout dans le livre comme un personnage à part entière, des garçons comme Virgilio, des œuvres d’art, des langues vivantes, mais aussi des anges.
Voici un livre qui simplifie celui qui le lit.
Si une colombe pouvait écrire, ça donnerait Eugène Green.